Du temps pour moi (enfin!)

En voyage, on développe un autre rythme de vie, le temps se ralentit. Cette expérience aide à prendre du temps pour soi !

 

Jusqu’à 50 ans, j’ai couru après le temps. Lorsque je considère aujourd’hui ce que je mettais dans mes journées de mère de famille nombreuse, de chef d’entreprise ou de salariée, je me demande comment j’ai pu tenir ce rythme si longtemps. Mais voilà, je suis partie loin et longtemps et le temps n’a plus été le même. Petit à petit, j’ai fait la paix avec l’horloge de ma vie. Mais il a d’abord fallu traverser une zone de résistance intense et franchir les obstacles.

La cigale et la fourmi : comment on apprend très tôt qu’il faut s’activer pour être récompensé

 

Qui n’a pas appris cette fable de La Fontaine à l’école ? Cette brave cigale vit sa vie, chante et danse, en savoure chaque instant. Et malheur à elle ! La voilà SDF et sans le sou, rebut de la société qui la blâme et se moque.
Au temps de Jean de la Fontaine, la survie était bien précaire et pouvait ne tenir qu’à un fil. Les temps ont bien changé depuis le XVIIème siècle. Pourtant, le besoin de s’activer comme une fourmi sous acide n’a jamais été aussi puissant et prend même des proportions délirantes.

Dans les sociétés modernes « je n’ai pas le temps » est une réponse si commune que l’on en vient à se demander de quoi est faite une journée normale

 

Les étrangers qui ont vécu en France s’en plaignent amèrement. Difficile de rentrer dans un cercle d’amis, compliqué d’organiser une sortie, une fête. Il faut tout prévoir, réserver à l’avance et même comme ça, les invités se désistent au dernier moment. Personne n’a le temps ! Beaucoup de travail, quelques activités et une fatigue permanente inhibent beaucoup d’entre nous. Gagner sa vie, c’est gagner du temps, perdre du temps, c’est perdre la vie.
J’ai passé des années à courir après le temps, sacrifié à cette dictature du calendrier des moments importants auprès de mes enfants qui avaient besoin de moi, des amis dans la détresse. Mais aussi toutes ces initiatives, ces cadeaux du hasard que j’ai ignorés pour pouvoir être à l’heure, faire tout ce que je devais faire dans la semaine, le mois.
Quand je me retourne sur cette période-là, j’ai quelques regrets. Lorsque je vois les autres enfermés comme des hamsters dans leur roue, j’aimerai leur dire que ce rythme est infernal et ne les mène nulle-part. Mais comme moi auparavant, ils répondent que c’est facile à dire, qu’ils n’ont pas le choix, qu’on compte sur eux.

Il est peut-être temps pour vous, qui rêvez de changement et d’ailleurs, de réfléchir à un autre rythme de vie

 

Ne pas travailler, dans le sens où on l’entend dans une société civilisée, c’est ne rien produire. Laver ses carreaux, faire le plein d’essence, arracher les mauvaises herbes, faire des pâtés de sable avec ses petits sont considérés comme des occupations sans valeur. Pour être considéré, il faut faire quelque chose de productif, de rémunérateur.
Pourtant, ne rien faire ce n’est pas être passif. On peut ne rien faire et passer du temps avec un ami, un enfant, une personne âgée, un inconnu, un animal. Lire un livre, laisser flotter ses pensées, observer le monde. Toutes ses activités non-lucratives sont pourtant essentielles au bonheur. Et quel est donc le but de toute cette agitation si ce n’est être heureux ?

Faire un gâteau, pffff… je bosse moi !

En ce temps-là, je travaillais en entreprise, j’étais salariée, mon temps était chronométré, réparti entre le bureau et la maison. 
Je suis une grande fan de pâtisserie. J’aime parfois la manger mais j’aime surtout la faire.
Pour les anniversaires, les fêtes de famille, c’était un peu mon job : faire un joli gâteau.
J’y mettais tout mon coeur. Thème, décoration, saveur, petits personnages.
Pour l’anniversaire de ma fille, cette année-là, je confectionne une belle pâtisserie avec une petite figurine blonde (ma fille) assise, entourée de cadeaux, de fleurs en pâte d’amande colorée. Bon anniversaire ma chérie !
L’effet était réussi. Pourtant  une membre de la famille y va de son commentaire :
« Moi, je n’ai pas le temps de faire des gâteaux, (les yeux au ciel) sérieusement… »
Je réponds que je prépare tout ça le soir ou le samedi. Que ce n’est pas si difficile, il faut s’organiser un peu.

Elle renchérie : « Moi, le soir, je bosse, j’envoie des fax, des lettres, je fais les factures… j’ai autre chose à faire que des gâteaux. »

J’ai perdu la bataille avec une réponse  aussi bête que sincère : « Mais c’est quand même chouette de prendre le temps de faire un gâteau d’anniversaire pour ses enfants, non ? »

Moi j’aimais passer ces heures-là pour faire ce cadeau à mes petits. C’était aussi ça « avoir des enfants ». Prendre du temps pour leur lire des livres, construire des châteaux, coudre des robes de princesse… et faire de jolies fêtes pour les anniversaires.

Il me semblait à cette époque que c’était quelque-chose de beau, faire un gâteau pour quelqu’un que l’on aime. Un gâteau ça se partage, ça se savoure, ça demande un peu plus que du savoir-faire, ça demande un peu d’affection. Ca demande du temps.
Si ce n’est pas la tarte, c’est justement ce temps-là investit dans ces quelques bougies multicolores et crème fouettée, qui m’arrive en pleine figure.

Ne pas avoir le temps, c’est avoir de la valeur. Cet empressement prouve que l’on est quelqu’un d’important, d’intelligent. Pourquoi faire un stupide gâteau quand on peut en acheter un ? Gagner de l’argent, ça c’est du lourd, du crucial, du primordial ! Cela prouve à quel point la personne mérite respect et considération.
Prendre le temps de faire quelque chose pour quelqu’un, c’est insignifiant. 
C’était comme ça dans ma vie d’avant. Le monde autour de moi était ainsi. Heureusement, cette vie-là a bien changé.

Apprendre à prendre du temps pour soi est parfois long, c’est pour cela qu’il faut faire un grand voyage

Lorsque je suis partie en voyage pour la première fois, les premiers mois, j’ai gardé le même rythme d’européenne affairée. Je devais rester active. Un train à prendre, un temple à visiter, un trek à faire. 
Même si je n’avais pas de programme à proprement parler, j’exploitais autant que possible le temps que je m’étais imparti. Je souhaitais ardemment en faire quelque chose, ce quelque chose qui me rendrait la force, la motivation, le bonheur. J’imaginais qu’ainsi je rechargerai mes batteries pour à nouveau me jeter dans un quotidien fait d’heures, de seuil de rentabilité et de performance.

20 000 kilomètres et quelques mois plus tard, le temps s’est ralenti. Au lieu de faire quelque chose, j’ai appris à ne rien faire et à prendre du temps pour moi

 

Au bout de quelques semaines, le temps a perdu son agressivité, sa corrosivité. Étrangement, rester au même endroit, partir chaque matin marcher dans la ville, s’asseoir au bord du fleuve, observer les autres d’une terrasse sont devenus des activités à part entière. Ne rien produire, ce n’est pas ne rien faire et ça me rendais heureuse.
J’ai pris une autre mesure du temps qui passe. J’ai repris le pouvoir sur ce que j’en fais.
J’ai cessé d’avoir peur de perdre du temps, de me retrouver à cours d’argent. L’angoisse d’avoir perdu ce temps qu’il aurait mieux valu investir autrement. La peur de louper quelque chose, de passer à côté de l’important, la peur de regretter et au-dessus des autres, la peur de demain. J’ai repris confiance en moi, j’ai repris le pouvoir sur le temps.

Prendre son temps et ne rien produire ne sont pas toujours faciles à assumer

 

Celui qui ne produit rien est assez malmené. Cette non-activité n’intéresse personne, elle est même décevante. Nos relations avec « les autres » sont souvent basées sur des actions, des accomplissements. C’est de voir la photo du voyageur au sommet de la montagne ou posant devant un monument qui les intéresse. Sortir de la course à la production, c’est risquer de se retrouver seul. 
C’est le blues du chômeur qui se retrouve sans rien à faire, alors qu’il a du temps pour faire beaucoup de choses, il se sent inutile et seul. Le parcours est long pour s’émanciper de la considération d’autrui. 

Un grand voyage aide à reconsidérer le temps comme une chance, pas comme une menace

 

Le temps, c’est de l’eau, du sable qui nous coule entre les doigts. Impossible de le stocker, de le garder pour plus tard. Alors nous lutons « contre ». Il faut s’activer, faire vite, faire davantage. Epuisés, nous nous endormons comme la fourmi qui se dit qu’elle survivra à l’hiver, qu’elle a fait du bon travail. Pourtant qui peut se targuer de savoir ce qui arrivera tout à l’heure ? 
Reconsidérer ce que l’on peut faire de ce temps qui nous est imparti et dont nous ne connaissons pas la quantité est un des changements les plus difficiles. 

Utiliser le temps comme on le souhaite est un acte de résistance

 

Il faut faire la part des choses. Nous avons besoin de travailler pour subvenir à nos besoins, être indépendant et libre. Il ne s’agit pas de prôner un mode de vie désœuvré et passif mais de retrouver la maîtrise du temps car ce rythme finit par nous rendre malade. La souffrance au travail est devenu un fléau professionnel. Parents, enfants, chien, chat poisson rouge, personne ne semble épargné par la folie qui s’est emparé de ce monde civilisé. Tous souffrent de stress, plus personne ne tient en place, tout le monde est fatigué émotionnellement et physiquement. Mais ce sont ceux qui veulent ralentir que l’on juge mal.
Je ne vous écris pas d’un ashram indien, je ne vis pas seule dans le désert, je suis toujours une femme intégrée dans une société faite d’hommes et de femmes, de contrats de travail, de voiture et de feux rouges.
Je suis allée au bout du monde, au prix de beaucoup d’efforts pour enfin vivre ma vie pendant quelques mois, le temps d’une parenthèse enchantée. Ce que j’ai compris en faisant ce long périple c’est qu’il fallait que je dispose du temps comme je l’entends pour le reste de ma vie, pas seulement le temps d’un voyage. Qu’il est possible de dire non à des rythmes de vie qui nous tuent et que c’est beaucoup plus facile à dire quand on reprend confiance en soi.

Un grand voyage, ça change vraiment la vie !

Partir au long cours demande une certaine flexibilité. Mais ce n’est pas qu’une question d’adaptation. Il faut parfois regarder le monde différemment et réapprendre à faire confiance…

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