Ou tu m’aides ou tu fermes ta g… !

Se retrouver seule à la nuit tombée en terre inconnue sans point de chute peut être inquiétant. Plus encore quand une bande d'ados vous tourne autour et aucun taxi en vue...

Lorsque je débarque à Bharatpur, Inde, il est bien plus tard que je ne l’avais prévu. Les trains indiens sont surprenants, incroyables, passionnants mais pas ponctuels 

 
La gare est déserte. Alors que je me bats en général pour repousser les tuk-tuks qui assaillent les voyageurs à la descente du train, ce soir, il n’y en a aucun. Vide, rien, nada.

C’est embêtant car je ne sais pas où dormir ce soir. Je pensais bien prendre des renseignements auprès des chauffeurs, ça marche toujours d’habitude. Heureusement je me souviens du nom d’une guesthouse recommandée par un autre voyageur croisé dans la ville précédente. Un nom facile à retenir : « jungle house ».

Personne aux alentours, sinon, une bande de jeunes garçons qui font les kakous sur leurs mobylettes, exactement comme en France 

 
Ils ont l’air de me trouver très drôle, ils rient bruyamment en me montrant du doigt. Je les interpelle avec sourire et politesse pour savoir s’ils connaissent cette auberge providentielle.

Apparemment, oui. Je leur demande si ils peuvent m’y emmener. Alors là c’est le comble. Ils se roulent de rire par terre. On dirait que c’est la première fois qu’ils parlent à une étrangère. Je ne vois pas du tout ce qu’il y a de comique dans ma demande mais ils trouvent la situation des plus hilarantes.
Un des garçons plus hardis que les autres fanfaronne : « Yes ! yes, 500 roupies ! ». Ici, cette somme représente un prix exorbitant pour une course en mobylette.
Et il continue à faire le coq devant les copains à grand renfort de blagues.

Je ne suis pas de nature belliqueuse. Vraiment. Mais il y a des limites

 

Arriver tard, être perdue, chargée, sans toit sous lequel se réfugier pour la nuit, c’est un tantinet préoccupant mais il n’y a pas de quoi paniquer. Par contre, se retrouver la cible du mépris de cinq ados qui se moquent de moi par-dessus le marché, c’est trop. Une bouffée de colère me submerge. Je balance mon regard Pôle Nord-mitraillette et lance une tirade sortie tout droit d’un Avenger : « très très drôle, en effet, super marrant ! Je suis fatiguée, je suis étrangère et je suis perdue. Il est tard alors… « (silence de western). « ou tu m’aides ou tu la fermes ! (en anglais : Shut up !) ».
Je m’énerve encore un peu « look at me, I just need help now ! ».
Je soulève mon sac énorme, le jette sur mon dos, comme un cow-boy partant vers des terres lointaines, avec mépris et sans un mot.

J’y suis peut-être allée un peu fort là… 

 
Ça fait un effet bœuf. Tout le monde se calme. Les voilà qui se rapprochent et se mettent à discuter ferme non pas sur le prix mais sur qui me prendra sur sa mobylette !
Pas de panique, on partage. Je donne mon gros sac à X et monte avec Y.
Nous commençons à rouler, rouler, rouler.
Au bout de 10 mn, je commence à m’inquiéter sur l’issue de cette aventure. La distance me parait énorme. La Guesthouse devrait se trouver plus près du centre ville. Nous nous enfonçons sur une route poussiéreuse en direction de plaines et de forêts.
Je ne voit aucune lumière d’habitation. C’est l’obscurité totale.
 

Il est peut-être temps de s’inquiéter là, non ?

 
C’est peut-être le moment de paniquer. Ces garçons sont peut-être au service d’un gang ? Je me maudis. Une touriste qui leur tombe tout cuit dans le bec, qu’ils vont pouvoir emmener dans un endroit tranquille pour la délester de quelques objets et billets, je suis vraiment une proie trop facile. Un vrai pigeon !
Je fais l’inventaire ce que je vais peut-être y perdre : appareil-photo, ordinateur, carte bleue, un peu d’argent liquide. Je survivrai sans tout ça.
J’aligne mentalement des arguments pour qu’ils me laissent mon ordinateur, j’ai toutes mes photos là-dedans.
Je ne pense pas vraiment qu’ils aient envie de me trucider, mais sait-on jamais.
Plongée dans ces pensées lugubres, je fais de mon mieux pour rester calme car nous roulons toujours sur une route au milieu des champs, hors de la ville. 
 

Restons calme et préparons-nous au pire : que faire d’autre ?

 

Quel intérêt auraient-ils de me découper en morceaux ? Non, aucune crainte à avoir, ils ont l’air d’être de bons garçons. Très bons garçons. Gentils.
Et on roule toujours. Il fait noir noir noir, il me reste l’espoir. Alors que faire sinon attendre la scène ultime avec qui sait, l’arrivée de la cavalerie ?

Le voyage dure quelques kilomètres encore et nous arrivons enfin. Pas grand chose autour, quelques baraques basses, deux ou trois éclairages publics mais rien qui ne ressemble à une ville ou un village.
Les garçons descendent de leurs motos et me posent le sac sur le dos. Je ne dis rien et j’attends la suite. Le coq en chef tend le bras en direction de la lumière, tels un sioux « House ! ».

Au loin, il y a une maison entourée d’arbres qui ne ressemble en rien à une Guesthouse

 

Mais si on s’approche un peu, oui, on peut voir sur un bout de mur décrépi se détacher les lettres « ouse« . C’est bien là, nous sommes arrivés à la « Jungle House».
Je salue bien bas, je dis merci 5 fois. Je me dirige d’un pas qui se veut des plus assurés vers la maison, dans la pénombre. Je n’en reviens pas de leur bienveillance mais surtout, je m’étonne de m’être inquiétée comme ça.

Quand je repense à cette histoire et à ce qui se passe parfois dans mon 93 natal, je me dis que définitivement, le monde en dehors de la France n’est pas aussi effrayant qu’on le croit !

Une rencontre avec une milice civile armée de fourches et de Kalachnikov, quelques vaches et des inconnus. Non, sérieux, pas de quoi paniquer…

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