Périple mongol, 5ème jour : de la Mongolie à la Chine

C'est l'heure de passer la frontière Mongolie - Chine !

Il est six heures du matin, c’est à dire très tôt pour m’être endormie vers 4h00. 
Ou je continue à confire dans des parfums de yak mal lavé ou je me rendors. Pomper encore un peu d’énergie ou empester l’étable, choix cornélien, j’opte pour le sommeil. 

Vers sept heures autour de moi c’est le branle-bas de combat général. Les couvertures s’agitent, des visages bouffis apparaissent. Tous se serrent autour du poêle sur des mini tabourets pour le petit déjeuner. Un homme et une jeune femme piochent de minuscules filets de sardines dans une boite de conserve et les étalent sur du pain. Notre hôtesse a refait du feu et prépare à manger : des grosses pâtes molles et du mouton caoutchouteux qui me restent un peu sur le cœur ce matin. Par politesse, je pioche un peu dans le bol, avale le thé salé et sors dehors respirer un grand coup d’air frais.
Le minibus qui m’a amenée ici me dépose une heure plus tard au poste frontière, encore fermé à cette heure. Déjà, les gens attendent en rang devant le portail en fer. Des hommes et femmes en uniforme nous maintiennent en file indienne comme des vaches entrant à l’étable. Ils font passer la file par petit groupe de six ou sept personnes.

Mon tour arrive et je me dirige vers un gros bâtiment où tout le monde s’est précipité. Une longue file d’attente s’est formée

 

Premier contrôle au guichet après dix minutes d’attente, l’officier triture mon passeport et me renvoie remplir ma carte de sortie. Je quitte la file, rempli mon formulaire et reviens faire la queue. Mon tour arrive, le même officier m’informe qu’il faut que j’aille à un autre bureau faire tamponner ce foutu carré de papier.
Je quitte la file, m’enquiers dudit bureau, avise un officier qui a l’air de ne même pas savoir lire mais qui, sous son air de plancher sur mon passeport comme sur un problème d’arithmétique, finit par y apposer le coup de tampon salvateur.

Je reprends ma place dans la file et passe enfin le premier portillon. Il faut maintenant se ranger sagement dans la seconde file afin de présenter son passeport chéri à une dame revêche au visage de cire, prisonnière d’un guichet vitré.
J’y arrive presque lorsque je me souviens qu’il faut que je change mes tugriks avant de quitter le pays. Personne hors de Mongolie, aucune banque, n’échange cette monnaie. Il va falloir que je quitte la file encore une fois car,oui, il y a bien un bureau de change, quelque-part au sous-sol. 
Hélas, trois fois hélas, si le bureau de change existe, celui-ci n’a pas d’argent ! A quoi donc sert ce bureau de change ? C’est normal, c’est la Mongolie.
Je repasse le portillon et reprends ma place encore une fois : lorsque enfin le tampon sortie s’imprime sur le papier, mon passeport en frétille de plaisir.

Je me dirige maintenant vers le poste frontière chinois dont je foule maintenant gracieusement le sol malgré mes vingt-trois kilos de charge


Premier contrôle.

La salle est assez informelle. Il faut franchir un portillon détecteur de machettes et de coupe-ongles, un scanner de bagages à rayons X pour les bombes artisanales et les kalachnikovs, la fouille au corps et fouille de sac intégrales, la routine.
Un officier scrute un téléphone portable. Il y a aussi le détecteur de photos dangereuses pour la sécurité du territoire. Tout est étudié en manuel : index expert, œil de lynx, front plissé, regard concentré.
J’ai déjà supprimé toutes les photos du smartphone pour gagner du temps mais je ne peux éviter qu’ils aillent fouiner dans l’ordinateur où sont stockées au moins 200 000 photos. Le douanier me rend le téléphone sans même me lancer un regard. Je remballe vite mes affaires espérant échapper à l’ouverture de l’ordinateur. 

C’est compter sans le zèle légendaire des chinois lorsqu’il s’agit de sécurité nationale. Il découvre que je transporte un ordinateur portable et un appareil photo.
Nous voilà partis pour un passage en revue scrupuleux de milliers de  photos

 

Ce contrôle est vraiment stupide mais le monde est imparfait. Il s’agit maintenant de garder le sourire, rester décontractée et espérer que tout se passe bien.
La douanière ouvre une dizaine de dossiers dont elle ne sait sûrement pas lire le nom, qui eux-mêmes ouvrent des dossiers et des sous-dossiers tout aussi mystérieux. Heureusement, lassée au bout de dix minutes, elle abandonne et je continue ma progression vers la sortie. Dans ce parcours du combattant bureaucratique, je me tiens maintenant devant le guichet où mon gentil passeport s’apprête à recevoir la communion : le tampon d’entrée en Chine, juste à côté du visa délivré à Hong Kong, entrée numéro deux.
Le transit par cette frontière n’est que très, très peu utilisé par les voyageurs. Nos amis garde-frontière n’ont pas beaucoup l’habitude des sacs à dos Deuter et parka Décathlon, alors que dire lorsqu’il s’agit d’une française de presque cinquante ans ? Ils se montrent curieux et vraiment très cordiaux à mon égard.
Ce n’est pas la première fois que je m’invite en république de Chine, je ne sais pourquoi, il y a toujours un problème avec mon passeport. Il faut patienter et tout finit par s’arranger, c’est juste une question de temps. Heureusement, j’ai le temps.
Poum, tampon, ça roule ma poule. Fēicháng gǎnxiè !

Tout se passe incroyablement bien, je n’en reviens pas. Je me sens légère comme une plume et l’âme victorieuse

Autour de moi maintenant, c’est un drôle de no-mans-land. Des baraques, des bâtiments bas, supermarchés, centres de transit pour les camions. Je cherche une voiture ou un bus qui m’amènera à la frontière Kazakhe. Il faut passer par Urumqi, un bus de vingt heures m’y amènera.
Mais ce matin, que nenni de bus. Il n’y a que des taxis à partager qui attendent de faire le plein de passagers pour partir.
J’annonce a la cantonade : Ouroumtchi ?Ouroumtchi ? Kazakhstan ?
Aussitôt les réponses fusent yes yes, two-fifthy ! Comprenez : deux-cent-cinquante yuans, environ trente-cinq euros.
Entourée d’un petit groupe de curieux, je charge mon sac dans le coffre, allume ma dernière cigarette et commence à attendre. Je suis prévenue, la voiture ne partira que lorsqu’elle sera pleine, 4 ou 5 heures d’attente suffiront.
C’est alors qu’arrive un homme bien habillé, le pas assuré, le visage ouvert. Il se dirige directement vers moi, Kazakhstan ? No Urumqi ! Not good ! Too long ! Jemenai Ok !
Il a un accent à mourir de rire, ponctuant la fin de ses phrases par un hi ? Vraiment comique.

Il est dix heures du matin, le soleil me grille déjà le cuir chevelu

Je me renseigne alentours auprès des douaniers planqués dans la cahute jouant avec leurs portables. Il s’avère que Jemenai c’est mieux qu’Urumqi.
Je ne saurais le pourquoi que bien plus tard : la frontière d’Urumqi ferme de façon sporadique. C’est parti pour Jemenai, en plus, mon chauffeur nommé Khale (Raleeeee) part tout de suite, go go go, pas d’attente et cerise sur le gâteau, sa voiture est d’un confort de limousine et je suis toute seule dedans ! Le rêve.

Apres avoir avalé ces milliers de kilomètres de poussière entassée dans des bétaillères, bus et taxis surchargés et sans clim, quel bonheur !

 

Khale parle trois mots d’anglais et cela m’est bien égal, une fois calée dans le siège en cuir, je commence à fondre de fatigue, je n’ai pas la force d’entamer une conversation qui va me demander plus de concentration que de salive. Khale est kazakh mais né en Chine. Il m’explique des tas de choses que je ne comprends pas. Il passe alors en trois dimensions avec force de gestes et mimiques, je finis par comprendre :
Femme (pouce et index descendant des pommettes au menton, foulard), 
Enfant (main, paume ouverte vers le sol en geste descendant),
Passaporteeeee (passeport donc),
Aller à (geste de ballon envoyé dans le panier de basket),
KAZAKHSTHAN ! (pas de traduction).
Et il va me répéter ca au moins dix fois, les étrangers sont un peu stupides. 
Mon scénario à moi est que nous allons au Kazakhstan chercher sa femme et son enfant.
Mais voilà, nous ne nous élançons pas sur la route direction frontière Kazakhe bercés par le doux chant du moteur et rafraîchis d’une clim réglée au degré près. Non, nous tournons à gauche et là commence un autre périple qui va s’étirer jusqu’à deux heures trente du matin.

Premiers arrêts, il récupère les passeports de sa petite famille

Plusieurs personnes rentrent et sortent de la voiture, on se promène de quartiers résidentiels en bâtiments officiels, plus une pause pour se restaurer.
Puis nous prenons la route vers une ville inconnue, le GPS ne répond plus depuis que nous avons passé la frontière.
Nous nous rendons chez des familles adorables logées dans des petits HLM où du thé, du fromage de chameau, du pain et des noix nous attendent. Il y récupère sa femme et son fils, discute sans fin, je souris et je me tais.
Puis, c’est la tournée des adieux chez les amis. Je dis bonjour et au revoir, je fais vraiment tapisserie mais au fond, ce n’est pas grave, ces gens sont vraiment très gentils. Enfin nous nous rendons à son appartement où ils plient bagage, nous prenons une autre personne qui comme moi loue les services d’un chauffeur.
En voiture Simone, cette fois, c’est la bonne !
Eh bien non.
Nous nous arrêtons un peu partout pour ce qui semble être des formalités administratives au vu des drapeaux qui ornent les façades.
Nous partons vraiment à l’assaut de la belle route goudronnée qui traverse ce morceau de Chine désertique sur cinq-cents kilomètres vers dix-huit heures passées.
Est-il utile de préciser que je ne suis plus du tout toute seule dans la voiture ?
Désert, troupeaux de chameaux et soleil couchant défilent par la fenêtre. Je me rends compte que je n’ai même pas songé une seule fois à me plaindre du service, du retard ni d’être traitée comme un colis. Je n’ai aucune idée de ce qu’il se passera plus tard ni de l’heure à laquelle nous arriverons, ni où, à vrai dire.

Autour de deux heures du matin, la voiture stoppe dans une ville inconnue

 

Khale en sort et m’explique que demain matin, à sept heure trente je dois être là (il désigne un énorme bâtiment aux grilles fermées) pour prendre un bus qui passe les frontières chinoises et kazakhes.
D’accord, je dis, et maintenant ? Je dors où ?
Il y a des moments comme ça dans la vie où il n’est même pas utile de s’énerver. Car si nous étions partis à l’heure promise, j’aurai eu mille fois le temps de trouver un gîte pour la nuit. Il est hors de question que Khale me largue ici, comme un vulgaire paquet, sans aide.
Hôtel ?
Oui, please !
Khalee me dépose devant un hôtel, genre trois étoiles. Rien d’autre ne semble disponible alentours. Je paie Khale qui disparaît aussitôt, sans plus de cérémonie.
Je négocie ferme le prix avec le veilleur de nuit qui ne parle pas du tout anglais et qui n’est pas du tout disposé à baisser son prix. La situation semble sans issue jusqu’à ce qu’un jeune chinois m’apostrophe dans un anglais presque parfait et m’aide à trouver un arrangement avec le réceptionniste borné. Le prix est fixé à cent-trente yuans au lieu de trois cent. Je profite de l’anglais parfait de mon sauveur pour obtenir des renseignements sur le bus de demain.

Ô miracle, il se rend, lui aussi au Kazakhstan demain, à Almaty comme moi !
 

Il ajoute que si demain j’ai besoin d’aide, il sera à la station de bus à partir de huit heures.
Un bémol cependant, demain sera une dure journée, les bus seront pris d’assaut car après-demain, ha ha, la frontière fermera pour sept jours.
Je monte dans ma chambre au troisième étage, dans le couloir mes godillots s’enfoncent dans la moquette épaisse.
J’ouvre la porte à l’aide de la carte électronique… La chambre est aussi vaste qu’une salle à manger, deux grands lits blancs parés de couettes épaisses et d’oreillers ventrus me tendent les bras. La salle de bains, toilettes en céramique rutilantes, douche à l’italienne étincelante et serviettes éponge immaculées et moelleuses achèvent de me déprimer : je ne vais passer que quatre heures dans cette chambre ! Gros soupir.
Mais voilà, la vie est pleine de surprises. Le téléphone de la chambre sonne. Ce n’est certainement pas un faux numéro et je ne connais personne ici, alors bonne ou mauvaise nouvelle ? 
C’est le chinois anglophone qui me rappelle que nous sommes ici à l’heure chinoise, donc deux heures de moins qu’en Mongolie. J’ai deux heures de rab ! 
Douchée, shampouinée, je m’enfonce dans le matelas diabolique comme dans un sable mouvant, telle une enclume tombant au fond du désert des Tartares. 
Demain est un autre jour !

Passer de la Mongolie au Kazakhstan en passant par la Chine, c'est toute une aventure !

Sortez de votre zone de confort, en voyage, c'est le moment de vaincre ses peurs et de se jeter dans l'aventure !

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