Périple mongol, 1er jour : monter dans le bus qui part à Ulaangom

Derrière moi l'envoûtant désert de Gobi, chevaux galopants, chameaux chantants, moutons bêlants, toilettes d’antan, vêtements puants, yaks ruminants et soleil éblouissant

Je me trouve en Mongolie, dans un village nommé Tariat, légèrement centre-est de ce grand pays. Autour de Tariat, il y a des lacs aux bords desquels paissent des yaks et des chevaux. L’objectif à ce jour, est de me rendre au Kazakhstan par la frontière ouest. En fait, je traverse en zigzag le pays d’Est en Ouest.
Tariat est un village de la province, Aïmag en mongol, de l’Arkhangaï. Tout près du village, l’incroyable parc national du Khorgo, un volcan éteint qui a laissé derrière sa colère des champs de scories très difficiles à arpenter, recouverts de végétation. Les mongols appellent ce relief, les yourtes de basalte. Le paysage est spectaculaire et vaut bien tous les efforts. 

Il faut que je me dépêche car la frontière Mongolie-Chine va fermer pour dix longs jours

 

Si je dépasse mon temps de visa ici-bas sachant qu’il me reste six jours avant qu’il n’expire, je n’aurai plus qu’à retourner à Ulaan Bator et payer une lourde amende.
En Mongolie, les transports en communs sont, comment dire… peu communs.
Je décide de prendre de l’avance, sait-on jamais, les gouvernements se montrent parfois très capricieux et imprévisibles en matière de frontières.

Si la Mongolie est synonyme de désert, en ce moment, la chaleur écrasante est interrompue par de violents orages qui transforment les plaines en lacs et les villages en marais

 

Les tempêtes de pluie qui se sont abattues sur la Mongolie ces derniers jours ont fait sauter les postes électriques. Il y en a peu et celui qui a explosé amenait l’électricité des centrales russes jusqu’ici. Toute la province est privée d’électricité depuis quatre jours.
Tout le monde a l’air de trouver ça normal, habituel. Personne ne s’inquiète ni ne s’émeut du blackout. Même pas un signe d’exaspération.

Je dors dans un hostel. C’est un mix bizarre de camp, de refuge et de salle des fêtes

 

C’est mongol, très basique. Deux yourtes et un bâtiment en dur où se trouvent quatre chambres encombrées de sacs débordants de vieilles affaires, de jouets cassés et de matériel de puériculture.
Pas de salle de bains, une cabane au milieu de la cour sert de toilettes : deux planches  posées sur un trou, lui-même entouré de cloisons en planches, dont une porte qui ne ferme pas.
Il faut, alors que je fais mon petit pipi accroupie le plus loin possible dudit trou, tenir le bout de ficelle accroché à la porte pour la maintenir un peu fermée d’une main, tout en gardant dans l’autre mon rouleau de papier toilette.
La cour est inondée par les pluies diluviennes, donc les toilettes aussi. Je ne prendrai pas ici le temps de vous décrire à quoi ressemblent ce genre de latrines une fois inondées, chacun aura l’imagination nécessaire pour se représenter le tableau.
Cet établissement est tenu par une femme incroyable nommée Tunga. Elle parle couramment l’anglais, ce qui n’est pas rien dans cette partie du monde. Elle est titulaire d’un diplôme de Cambridge, a quatre enfants, gère la guesthouse ainsi qu’un camp de yourtes pour touristes situé sur le bord du lac à quelques kilomètres de là.

Super Tunga m’arrange une réservation dans le bus qui va à Ulaangom, à l’est du pays, point cardinal dont il faut que je me rapproche fissa

 

Ce bus-là part d’Ulaan Bator vers dix-sept heures, je dois l’attraper au milieu de la nuit, quand exactement, seul Gengis le sait. De toute façon, tout ira comme sur des roulettes, le chauffeur appellera Tunga trente minutes avant d’arriver à Tariat et elle viendra me réveiller. C’est comme ça que ça marche ici.
Dans la soirée, la pluie se remet à tomber. Je commence à m’inquiéter sérieusement de la façon dont je vais franchir le lac qui entoure maintenant la maison de manière à me trouver en moins de trente minutes à trois cent mètres de là. Le rendez-vous est sur la route, à côté de la station essence bleue, ne pas confondre, il y en a deux, l’autre étant rouge.

Avant que le soleil ne se couche je note scrupuleusement la direction sur ma boussole au degré près, tout ça ne m’a pas l’air très évident

 

Je pars me coucher dans ma minuscule chambre éclairée à la lampe frontale. A côté du lit, tout est près, le sac est déjà bouclé.
A une heure trente, Tunga frappe à la porte.
En deux minutes chrono je revêts mon uniforme de backpacker-ninja et nous sortons.
Le ciel est d’un noir profond, pas une étoile ni un quartier de lune pour éclairer le champ. Le village est plongé dans le noir, route, maison, lampadaire… station essence comprise.
Tunga m’accompagne sur les cinquante premiers mètres. Une moto se déplace au loin, elle va vers la route. Tunga est tout sourire.
« Easy! No problem, follow this way, follow the motorbike! Bayarlalaa ! »
Je m’enfonce dans la nuit, grand sac sur le dos, petit sac devant, c’est parti mon kiki.
Les esprits les moins rompus aux entraînements militaires imagineront sans peine que garder la direction au degré près tout en évitant les lacs de boue relève du niveau GI, grade de capitaine.

Je pèse lourd, je m’enfonce dans l’eau et la gadoue, je perds l’équilibre à plusieurs reprises. Je m’aperçois rapidement que marcher vite, lourdement chargée, sur un terrain accidenté, dans la nuit noire en regardant ma boussole en même temps est décidément un exercice délicat

 

La moto a disparu dans la nuit sans demander son reste.
Je hâte le pas, légèrement tenaillée par l’inquiétude de me perdre vraiment.
Bon, Bon, Bon. Pas de panique, il faut compter vingt pas, s’arrêter, reprendre l’axe, repartir, vingt pas, axe, et tout ira bien.
Non, tout ne va pas bien en fait. Je marche depuis maintenant quinze minutes et aucun indice de route ni de station essence aux alentours.
La nuit est immense, compacte, elle absorbe comme une éponge le rayon de ma lampe qui ne me donne guère plus que le mètre nécessaire pour faire un pas.
Un petit vent bien frais me chatouille les oreilles.
Le bruit des chaussures dans l’eau, le sac, les sangles, boussole, sifflet, couteau et mon souffle rapide font clic clic clac sloupf tschhh tschhh. Un bruit d’enfer dans la steppe.
Je m’arrête. Plus un mouvement.
Le silence m’enveloppe, il pèse des tonnes.
Une minute.
Je scrute l’obscurité, à droite, à gauche.
Respire, à droite à gauche.
Soudain, à ce qui me semble être un bon kilomètre à vol d’oiseau apparaissent deux rayons de phare.
Dieu existe, je suis les points lumineux du regard le plus longtemps possible, car eux, ils sont sur la route. Je cours dans leur direction avant qu’ils ne disparaissent.
Voiture, bus ou camion, je ne sais pas, ils sont si loin.
L’obscurité totale revient.
Si c’était mon bus, si c’était ce bus-là… Impossible, il m’attendrait, c’est sûr.
Voilà maintenant trente minutes que je marche à un rythme soutenu.
Je ralentis, rien ne sert de courir si ce n’est pour tomber comme une tortue sur le dos, dans la gadoue.
Je garde le cap, au fond, restons calme. Le soleil se lève tôt ici, dans deux heures. Il ne fait pas froid. Si je loupe ce foutu bus, j’en prendrai un autre.
Clic clic clac sloupf tschhh tschhh
C’est sûr, cette foutue route n’est pas bien loin.
Ohe Gengis ! Fais-moi un signe !

Et là, dans ce silence mat, à cent mètre a peine, la station essence s’illumine au doux son guttural d’un groupe électrogène

 

Je jubile : « Merci Gengis, je te revaudrai ça ! ».
J’ai juste le temps de sentir l’asphalte rassurant sous mes chaussures lorsque le moteur s’arrête.
C’est la station rouge, à droite toute, en route vers la bleue.
Je me retourne de temps en temps pour guetter l’arrivée du véhicule salvateur.
Il faut garder la foi, j’ai déjà la route, c’est à moitié gagné.
C’est alors qu’il apparaît, toutes lumières allumées, glissant dans la nuit comme un traîneau de père Noël.
C’est reparti mon kiki, dans l’autre sens cette fois, lampe en mode warning.
Le chauffeur finit par m’apercevoir, relance le monstre rugissant et s’avance vers moi.
« Franssouss ? » M’apostrophe le chauffeur. « Ouiiiiii, c’est moaaaaaa ! »

Sac en soute, je m’avance jusqu’à mon siège, tout au fond du bus bondé. J’enjambe au passage une grand-mère étendue dans l’allée centrale, des cartons et un adolescent groggy

 

L’air est dense, ça sent l’humain confiné, le mouton et la chèvre, les corps en manque de douche, des vêtement en manque de lessive, le vomi, la nourriture, le beurre de yak et la peau de bête mal tannée.
Ma place est présentement occupée par une petite fille de sept ans environ qui dort comme un bébé. J’attends en équilibre dans l’allée que son imposante et corpulente maman la prenne dans ses bras.
Nous allons devenir très intimes toutes les trois. La maman s’endort en développant toute sa masse sur mon siège. La petite tombe régulièrement sur mes jambes. Toutes les cinq minutes en moyenne je lui envoie un coup de coude pour qu’elle se redresse car j’ai l’épaule en marmelade, les jambes engourdies. La chère petite finira par me vomir dessus, pauvre enfant, sans que sa mère ne s’en émeuve plus que ça.
Mais je m’en fous, je suis assise dans ce foutu bus qui fonce, saute et chaloupe sur cette route inégale, pleine de trous, de sable et de cailloux.
Mission accomplie.

Passer de la Mongolie au Kazakhstan en passant par la Chine, c'est toute une aventure !

Le monde est bien plus bienveillant qu'on ne le croit, c'est la grande leçon du voyage !

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