Périple mongol, 6ème jour : au revoir la Chine, bonjour Kazakhstan !

Aujourd'hui, bye bye la Chine, en route pour le Kazakhstan !

Il est six heures trente ! Je me réveille bien avant l’heure. Tant pis pour le rab.
Les rues à cette heure sont désertes, calmes avant la tempête. Je prends de l’avance car je n’ai aucune idée de ce qu’il m’attend à la frontière, les chinois m’ont bien prévenue, c’est le rush en ce moment, avant que la frontière ne ferme pour 10 jours.

Je quitte à regret le bel hôtel confortable et je met en route vers la gare routière. Je l’aperçois au loin, elle ne semble pas grouiller de voyageurs, vu d’ici. Je me réjouis en pensant que je suis bien dans les temps, pas de bousculades, pas d’attente.

Hélas, non. Plus je m’approche, plus je réalise que la gare routière est en état d’urgence

 

Les familles entières chargées de sacs de nourriture, d’enfants, d’autocuiseurs, de ventilateurs et de valises sanglées se disputent les places dans la file d’attente au guichet.
Hou-la-la. Il faudra prendre son mal en patience et espérer tomber sur un guichetier compatissant, parlant anglais et pas stressé par la foule qui le harcèle. C’est beaucoup demander mais il faut espérer.
Je patiente depuis dix minutes, je suis tout près du guichet, seulement 10 personnes devant moi. Durant tout ce temps, ça chauffe dans la grande salle d’attente. Les gens se rangent en file pour monter dans les bus, des hommes s’affrontent, il y a des tricheurs qui passent devant, même si c’est un sport national en Chine, certains n’apprécient pas. La police arrive en petite foulée pour calmer ce joli petit monde à coup de matraques et le calme revient comme par magie.
Je suis toute absorbée dans la contemplation de l’efficacité militaire chinoise lorsque quelqu’un me tape sur l’épaule. C’est l’ami du chinois anglophone rencontré hier soir à l’hôtel. Il m’explique quelque chose en chinois dont je ne comprends que l’essentiel : No ticket, Almaty no ticket puis il disparaît aussi vite qu’il est apparu.

Almaty no ticket ? Mince alors ! et je fais quoi maintenant ?

 

Je me sens un peu perdue, mon chinois de Harvard s’est noyé dans la cohue. Je tourne autour du guichet comme un papillon autour d’une ampoule. Je dois trouver une autre solution, peut-être aller à Astana ?
Nouvelle tape sur l’épaule. Super chinois anglophone m’attrape par le bras, me désigne un grand homme, vraiment grand, au visage de mafieux russe : « this man will help you ! Go ! Go ! Go ! »
Quelle bonne idée ! C’est exactement ce dont j’ai besoin. Je souris à l’austère figure.
Il m’observe avec attention du haut de ses deux mètres, visage de marbre, pas même un tremblement du sourcil. Je me sens assez ridicule mais je ne vais pas me laisser impressionner comme ça, je continue à sourire.
« Passeport ! »
Ça sonne comme Ausweiss Papier! en 1940. Je m’exécute et sors mon précieux du portefeuille. Il observe le petit carnet, silencieux et glacial et opine du chef.
« Money ! »
« Oui, oui, bien sûr. Mais avec plaisir ! »
Je lui tends un billet de cent yuans, comme tout le monde, qu’il glisse dans le passeport et avant que je ne comprenne quoi que ce soit, il s’éclipse d’un pas vif dans la foule.

Formidable ! Un inconnu est en possession de mon unique sésame pour sortir de l’empire du milieu et il vient de partir avec je ne sais où !

 

Je me lance à sa poursuite et ce n’est pas chose facile dans la cohue.
Heureusement qu’il dépasse tout le monde de deux têtes, je ne le quitte pas des yeux.
Je le vois qui revient, puis repart, puis revient, intervient dans une bagarre, repart, tente de calmer une nouvelle rixe, discute au guichet, empoche des billets… Je  ne comprends rien du tout, je ne trouve aucune logique dans tout ça.
Comme un chien abandonné par son maître, je lui colle aux basques tout en tentant de lui intimer de me rendre mon passeport.
Il finit par comprendre mon manège et me chasse à grands gestes (coucouche panier !), vers la salle d’attente où se trouvent des scanners à bagages menant vers les bus garés sur le parking.
Je m’insurge, Non non non, no ticket ! Comment puis-je passer le portillon alors que je n’ai pas de billet Einstein ?

Je sens qu’il est excédé par mon manque de foi en Dieu. Il me pousse sans ménagement au travers du portillon sans que personne ne moufte et m’emmène à grandes enjambées vers un bus 

 

Je trotte derrière lui de mon mieux encombrée de mes sacs à dos. Je le vois alors qui fouille ses poches, sors un trousseau de clés, monte dans le bus et s’installe derrière le volant. Bon sang de bois, c’est le chauffeur du bus !
Il ne desserre toujours pas les dents mais je comprends que je dois poser mon sac en soute, m’asseoir dans le bus et surtout ne plus bouger.
Pendant une heure je le vois faire de mystérieux allers et retours du haut de mon poste d’observation. Nos regards lourds de significations se croisent de temps à autre, moi : je t’ai à l’ œil mon gars, lui : de quoi je me mêle !
Cet entêtement doit lui porter sur les nerfs car il finit par monter dans le bus, s’approche d’un homme assis là et, me désignant d’un geste accusateur, il se lance dans une diatribe courte et très animée parlant de passeport et de bien d’autres choses en tcheu tcheu kazakh. L’homme inconnu se tourne vers moi et transmet le message : passeport, no problem, passeport ok, sit here !

Il faut savoir lâcher prise et s’en remettre à la grâce du dieu des voyageurs, il existe

 

Je mets mes écouteurs et pense à autre chose. Que peut-il arriver ? Cet homme est le chauffeur du bus… et je suis assise dedans !
Le géant patibulaire finit par revenir avec mon passeport garni d’un billet valable pour le trajet jusqu’à la première ville kazakh : Zaisan. 
Tout ce petit manège a bien duré trois heures, lorsque le bus démarre enfin, je me cale dans le siège, prête à piquer du nez. Que nenni, il nous faut descendre du bus après un quart d’heure de route ! Et je vais m’en rendre compte très vite : monter et descendre du bus va rythmer la journée.

Premier checkpoint. Les douaniers se passent le passeport de main en main, me font rentrer dans un bureau, ça chinoise et ça rigole. Je dois ressortir du bureau sans mon précieux qui intéresse apparemment toute la garnison.
Ils finiront par me le rendre, sans les photos d’identité que j’ai toujours en avance, glissées dans la poche plastique. Que vont-ils faire avec ? Mystère. Tant pis pour les photos, nous remontons dans le bus. Un autre quart d’heure plus tard, rebelote pour sortir de chine.

Bien que les douaniers chinois soient vraiment, mais vraiment gentils, polis, souriants, ils vont me garder presque une heure 

 

Je crois comprendre que mon nom est mal orthographié dans le système. Ils ont aussi pris le temps de fouiller mon ordinateur, mon appareil-photo et mon portable. Les chinois ne plaisantent pas avec la sécurité. Une photo du Dalaï Lama ou un selfi avec une persona non grata et plus question de passer la frontière. J’attends sagement que les portes s’ouvrent enfin car tout le bus m’attend dehors sous une chaleur de plomb fondu. Super chauffeur m’aime de plus en plus. Il est assis près du sas vitré et me jette des regards réfrigérés.
No worry, no worry. Les douaniers sont prévenants et très amicaux. Ils ne veulent pas que je me fasse du souci. « Non, je ne suis pas inquiète, pas du tout. Merci ».
Gardons le sourire, on ne sait jamais.
Lorsque je déboule dehors chargée de tout mon bardas en exhibant victorieusement mon passeport tamponné, le bus entier pousse un soupir de soulagement et des ola !
Nous remontons dans le bus en montrant nos sésames tamponnés aux officiers chinois pas souriants pour un yuan qui nous autorisent à monter à bord, un par un.
Nous soupirons tous d’aise, la Chine c’est fini, voilà une bonne chose de faite.
Nous redescendons dix minutes plus tard pour nettoyer nos chaussures dans une solution antiseptique (roues comprises) et du foin avant de fouler le sol kazakh. Tout le monde est fatigué de ce petit manège mais ils ont visiblement l’habitude, personne ne se plaint, résigné et soumis au système.

Frontière kazakh…

 

Sans crier gare, un très beau jeune homme en uniforme de camouflage kaki fait irruption dans le bus : contrôle préalable des passeports. Intrigué par ma présence incongrue, il fonce droit vers mon siège. Oh ! French ?  Tout sourire, il lance à la cantonade que les français c’est very good. J’ai droit à plein de sourires et de pouces levés, je suis devenue une mascotte !
Premier poste : fouille des bagages, fouille au corps, passeport. Un gentil kazakh m’offre une glace, tout le monde est détendu, confiant. On se croirait presque dans un voyage organisé. Au signal, notre troupeau se dirige vers un autre bâtiment. Je me range dans la file d’attente en papotant avec les voisins. Surgit alors un officier qui m’apostrophe et me fait signe, impérieux, de le suivre.
Je dépasse tout le monde et réalise alors que l’officier me fait passer en premier.
Il me pousse devant le guichet. Le douanier m’accueille avec un tonitruant welcome in Kazakhstan ! Fransouss beautiful ! Et me tamponne mon passeport à la vitesse de la lumière.
Je patiente dans la salle en attendant mes compagnons de route qui n’ont pas la chance d’être français. Les officiers se relaient autour de moi comme des abeilles autour d’un pot de miel.
Je sors humer l’air du Kazakhstan, il fait au moins 40°. Sous une pergola, les fumeurs se sont regroupés et me citent Alexandre Dumas, Lara Fabian, la vie en rose, le grand Zidane et tout ce qu’ils connaissent de mon cher pays.
Je leur chante  je t’ai-aiiiiime, comme un fou comme un soldat… l’émotion est à son comble, ils ont la main sur le cœur.
Lorsque tout le monde a son tampon, tous assis comme dans une sortie scolaire, super chauffeur me fait presque un sourire.
La journée, s’annonce parfaite. Je ne sais pas encore comment rejoindre ma prochaine destination mais cela m’est bien égal, je suis au Kazakhstan, il fait beau et tout le monde est heureux.
La suite est toute simple, nous arrivons à Zaisan, Kazakhstan où j’attendrai le lendemain matin pour prendre le bus d’Almaty.
Un hôtel juste à côté de la gare routière. Des courses, du change, un yaourt et une courte marche dans la chaleur insoutenable de ce mois de juillet.
Depuis la gare routière de Jeminay en Chine, nous avons parcouru 120 km en 8 heures.
Le plus gros effort que je veux maintenant faire sera une douche, un chapitre de lecture et un très gros dodo.

Passer de la Mongolie au Kazakhstan en passant par la Chine, c'est toute une aventure !

Voyager, ce n'est pas dangereux... moins que la mortelle routine en tous cas !

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