Non, je ne monterai pas dans ce bus !

Passer de Lumbini, Népal, à Vârânasî, en Inde en bus : un voyage qui promet d'être long

Mon merveilleux chemin de voyage me conduit à passer la frontière du Népal pour l’Inde afin d’atterrir le plus gentiment du monde, à Vârânasî, ville sacrée

 

Pour cela il me faut un bus, donc bus je trouve. Je suis la première à me présenter au chauffeur qui ne partira que dans trois heures, alors on a le temps de papoter un peu. Il m’indique sur le ton du secret qu’il faut que je prenne la place qui se trouve à gauche du chauffeur. A côté de la grosse bosse du moteur, il y a comme un petit banc sur lequel, si l’on n’est pas taillé comme Teddy Riner, on peut s’allonger à demi et faire son petit dodo. Les autres passagers eux danseront sur leurs sièges en bois au rythme des nids de poules. 
Je trouve l’idée épatante. 

J’adore être devant, près du pare-brise, j’ai l’impression d’être au cinéma


Monsieur Gentil Chauffeur ne sait pas me répondre sur la durée du voyage, c’est comme ça ici. Il n’y a pas de tableaux à cristaux liquides indiquant à la minute près où et quand. Je ne sais d’ailleurs même pas où je vais atterrir exactement.

D’expérience, je sais que ce sera long, voire très long. Je suppute, entre 12 et 15 heures.
Lorsque je monte dans ce bus-là, il fait une chaleur à mourir, l’air est dense comme de la poix. Je suis, comme cela arrive parfois, engluée dans une fatigue qui me colle à la peau et au cerveau; Cette apathie ralentit mes mouvements et rend mon sac encore plus pesant. Ni café, ni orange pressée ni farniente n’arrive à bout de cet état.
Je suis juste lessivée par l’Himalaya, mais ça, c’est une autre histoire.

Dans un bus indien, on fais dodo, au son du klaxon

 
Le bus démarre vers 15h. Jusqu’à environ 20h, je me maudis d’avoir accepté le siège providentiel car si je danse moins que les autres, le klaxon chante à mes oreilles son incessante plainte aiguë.

Arrive enfin le crépuscule, puis la nuit et notre embarcation navigue plus sereinement sur la route qui se déroule sans fin sous nos phares. Moins de trafic, moins de klaxon, je me détends, mi- assise, mi- couchée, la tête sur mon oreiller sac-à-dos et sombre dans un sommeil gluant.

Le silence soudain me tire de ma torpeur.
Un silence pareil ce n’est pas normal, on est en Inde tout de même !

 
Je me dresse comme un cobra auquel on a marché sur la queue. Le conducteur est dehors, entouré de quelques hommes. Je descends et m’enquière du pourquoi on s’arrête, à 1h du matin, au milieu de nulle-part. 

« Moteur cassé, moteur pas réparer !« 
J’avise la température extérieure, fraîche, les étoiles, scintillantes, la lune, absente, les fourrés, inhospitaliers et la route… déserte.
Environnement plutôt favorable à la galère.
« Nous faire quoi alors ?« 
« Autre bus venir…« 

Mais c’est merveilleux ! Je me mords la langue d’avoir tant médit des transports indiens !

 

Ils envoient un bus ! Are Krishna ! Je remercie Vishnu, Kali et tous les autres de leur sagesse et attends gentiment sous la voûte céleste.
Les autres voyageurs descendent, sortent leurs innombrables sacs, s’étirent, fument, boivent ou mangent. Tout va bien, nous sommes en Inde et ces situations sont tout à fait normales.
Il se crée une certaine fraternité, on papote un peu avec les autres voyageurs. Lorsque surgit sans crier gare un bus rugissant rempli de ses occupants dans la nuit, la jolie petite communauté de voyageurs que nous sommes vole instantanément en éclat.

Le bus arrive, tout le monde passe en mode pirate : à l’abordaaaage !

 

Tout le monde se rue sur ces bagages et part à l’assaut du bus salvateur. Par les portes, les fenêtres, le toit, le pauvre véhicule est assailli de toutes parts.
Effectivement, autre bus venir  veut dire  autre bus venir , pas  nouveau bus venir , donc vide, juste un autre bus va venir avec ces autres passagers dedans et il faut se serrer, se tasser, s’agglomérer.

Foire d’empoigne pour une place assise 

Je ne suis pas surprise, ni même fâchée de cette issue, c’est comme ça ici. Mais je suis stupéfaite de la violence de cette ruée sauvage sur la carcasse du Tata. Les gens hurlent, crient, se bousculent sans ménagement. Les enfants pleurent, les hommes s’affrontent à qui montera ou pas, c’est la panique totale. Certains tentent même de passer par les fenêtres.
Gentil chauffeur est débordé. Je me tiens bien droite, en retrait, harnachée de mes sacs, sur le bord de la route. J’observe la mêlée avec un mélange de stoïcisme, de colère et de mépris.
Franchement, cette ruée sur le véhicule me fait un effet incroyable. Où est donc la prévenance, l’intelligence ?
Ils se comportent tous comme des animaux affamés sur un cadavre faisant fi de toute cohésion. Les enfants pleurent, le hommes hurlent. Non merci, très peu pour moi.

Au plus fort de la tempête, le chauffeur m’appelle comme si ma vie en dépendait : «Come, come now ! »

 

Je croise les bras fermement, « Non, je reste là, je ne monterai pas dans ce bus !Je vais attendre le jour, je vais dormir sur le bas-côté et je hélerai un autre busJe m’en fous. » 
« Mais non, non et non, je ne monterai pas dans ce bus ! »
Ma diatribe le laisse sans voix.
Je me déleste de mon barda avec ostentation et allume une cigarette.
Niet, Non, non et non, je ne monterai pas dans ce bus.

Kristiiiin, on t’attend !

 
De longues minutes s’écoulent et la situation se calme. Le bus klaxonne furieusement de l’autre côté de la route. J’entends mon nom crié par les passagers « Krsitinnn, Kristinnn ! Come ! ».

Je reste sans voix : Gentil Chauffeur m’a gardé ma place à l’avant !
Il s’empresse de m’aider à charger mes petites affaires, donne l’instruction au nouveau chauffeur de bien veiller sur moi. Ce dernier ouvre les bras dans un geste ample « à côté de moi tu es en sécurité ».
Alors, cette histoire n’est-elle pas magnifique ?
Si j’étais éprise de religion je dirai bien qu’un ange ou qu’un dieu veille sur moi.
Mais je crois en les hommes, bipèdes complexes pétris de contradictions que nous sommes… et j’ai bien raison.

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