Amer retour : quand on revient… pour rien

Il fait bien froid ce matin à Udaïpur. Les indiens s’en étonnent, ce n’est pas très habituel pour la saison. Même pour un 8 janvier

 

Ce matin, je sors de ma minuscule chambre pour aller prendre ma douche dans les sanitaires communs de ma guesthouse préférée, chez Raju. Pour cela il me faut monter deux étages. La salle de bains est si petite que l’on peut à peine se tourner dans la cabine mais il y a l’eau chaude et de vraies toilettes, le tout bien propre.
Poser vêtements, shampooing, savon et serviette demande déjà pas mal d’organisation mais en plus, j’ai oublié mes tongs. Les tongs c’est vraiment important pour prendre sa douche ici. Tant pis.
Je redescends dans la chambre la tête bien mouillée et je m’aperçois que le barbier indien à qui j’ai demandé une coupe à la française m’a complètement ratée. Ce n’est que maintenant que je m’en aperçois car je n’ai pas encore croisé de miroir. 
Tans pis. J’aplatis tout ça avec de furieux coups de brosses, personne ne viendra se plaindre…

Il est temps de prendre un bon petit déjeuner sur la terrasse. En sirotant mon café, je consulte les billets d’avion pour un retour anticipé

 

Les nouvelles sont mauvaises. Ma fille de 20 ans ne va pas bien. A chaque fois que nous nous voyons sur Skype, elle pleure. Son blues s’éternise depuis quelques mois et je ne sais plus quoi lui dire pour la consoler. Je pense qu’elle a besoin de mon aide. Tout ça infuse depuis son retour en France. Ca monte et ça descend comme une courbe de température. 
A chaque fois ça touche le point sensible, je me sens coupable d’être si loin d’eux. Mas ce ne sont plus des bébés. Ils sont solides alors, à chaque fois j’attends que ça se tasse. Et effectivement, ça se tasse. Mais voilà maintenant j’en suis plutôt à me dire que c’est un moment vraiment important et que je ne me pardonnerais pas de ne pas avoir été là au moment ou elle avait besoin de moi.
Tans pis pour le voyage.

Les enfants, ils ne nous appartiennent pas mais nous sommes quand même liés pour la vie

 

Je réfléchis depuis bien longtemps avec l’idée qu’ils n’ont que moi. Je n’en tire aucune fierté. Mais c’était bien mon credo avant de partir « si ce n’est pas moi qui le fait, personne ne le fait », et je ne parle pas que de descendre les poubelles…
Tans pis.

La connexion n’est pas bonne alors j’alterne entre l’Iphone et l’ordinateur

 

Décision difficile. Je reçois entre-temps un message d’un ami qui se rend aussi en France, pourrons-nous nous y rencontrer ? Je modifie les paramètres des départs, je cherche. Je réfléchis. Combien de temps me restera t’il pour visiter Ellora, combien de temps pour aller jusqu’à Bombay… Obligée d’aller à Bombay maintenant que mon billet de train est réservé… Annuler le billet de train, aller à Dehli. Partir plus tard, plus tôt ?
La décision est bien difficile, surtout que je n’ai aucun désir de rentrer…
Je me décide enfin, envoi la requête pour réserver le vol : coupure de courant. 
C’est très fréquent ici. Je finis vite mon café pour me rendre dans un restaurant où je peux me connecter, mais là encore, pas de courant, pas d’internet.
La coupure de courant me semble providentielle, c’est peut-être un signe.
J’en profite pour passer voir mon tailleur préféré qui a préparé quelques habits sur mesure : un pantalon noir tout simple et une tunique en coton pour dormir. J’ai oublié mon pyjama dans la dernière guesthouse, à Bundi.

Lorsque je reviens, le courant est revenu mais internet est inutilisable, trop lent

Je m’entête mais peine perdue. Je ne peux appeler personne pour demander conseil, m’épancher un peu, j’ai épuisé mon crédit téléphonique.
Je repars faire un tour et m’arrête dans une petite agence de voyage tenue par un petit bonhomme souriant et son épouse silencieuse.
Oui, il peut réserver un billet d’avion, oui il peut recharger ma carte de téléphone.
Pour le téléphone, c’est le parcours du combattant. Je ne me souviens jamais de mon numéro. J’en change à chaque pays que je traverse. Je le note dans un carnet en cuir. Je vide intégralement le sac pour retrouver ce satané carnet. Eureka, « voilà Monsieur, merci« . Je range le carnet.
Ca ne fonctionne toujours pas.
Je vide à nouveau le sac pour reprendre le carnet, je me suis peut-être trompée d’un chiffre. Toujours rien. 
Il fait ça par internet (qui ne marche pas) alors c’est compliqué, il ne peut pas charger les pages.
Tant pis.

Une heure plus tard, j’ai enfin cent roupies créditées sur ma carte sim. Je vais passer une bonne partie de l’après-midi assise sur une chaise en plastique de l’agence, à côté du boss

 

Je tente de trouver conseil auprès d’une amie mais le réseau est tellement instable que je passe mon temps à la rappeler. 
La rue est bruyante, les touristes rentrent et sortent.
Je ne retrouve pas les vols ni les prix de ce matin. C’est plus cher. Mais pourquoi ne pas partir de Dehli, annuler le billet de train, changer de plans… Pourquoi repartir finalement.
Il faut partir. Mon amie m’a dit d’écouter en dedans de moi. Jentends mon grand chagrin qui fait bien du bruit.
Il faut partir, je reviendrai. Il faut prendre une décision.
Tans pis.

Un aller simple pour Paris, oui, depuis Bombay, dans 2 semaines

 

La réservation prend beaucoup de temps, certes mais le paiement est encore plus ardu. Il faut envoyer quelqu’un à la banque avec de l’argent liquide pour le mettre sur un compte et payer en ligne avec ce numéro de compte. Voilà donc la femme de mon vendeur partie avec sa liasse de billets. Nous attendons.
Elle reviens avec un récépissé sur lequel est noté un numéro qu’il faut taper sur le formulaire internet (qui ne marche pas).
Nous attendons.

Il y a des moments de vie comme ça où quoi que l’on fasse, rien ne fonctionne

Nous attendons toujours la connexion. Nous attendons si longtemps qu’il me vient un impérieux besoin de visiter des toilettes. L’agence en est dépourvue.
Je ne peux pas réfléchir avec une envie pressante comme ça, je retourne à mon hôtel qui se trouve tout proche, monte les quatre étages au pas de course puis, toujours sous pression, je retourne à l’agence.
Je me rends compte que je suis partie sans lui payer la recharge de la carte téléphonique, je cherche mon portefeuille toujours rangé dans la poche arrière de mon pantalon, il n’est plus là.
Il a dû tomber en allant aux toilettes.
Je retourne à l’hôtel, quatre étages, je le retrouve parterre, trempé.
Je repars.
La transaction n’est toujours pas passée et maintenant j’ai faim.
Je n’ai pas mangé depuis ce matin. Les émotions, le bruit et le stress me donnent des vertiges.
Et puis, je vais louper mon dernier coucher de soleil sur le lac si ça continue…
Le téléphone portable ne cesse de biper, m’informant que je n’ai plus de batteries.
Nous attendons toujours.

le gentil monsieur de l’agence ne veut  pas me laisser partir, il craint que je ne revienne pas, et il aura payé un billet d’avion pour rien. Je lui laisse ma carte bleue. Il finit par accepter. Gros risque pour moi.
Je vais prendre un en-cas, un thé masala pas bon, une tarte aux pommes avec beaucoup de tarte et peu de pommes. C’est mauvais et très cher.
Je retourne à l’agence.

Ca fonctionne enfin, la connexion est rétablie

 

Je remplis le formulaire moi-même en tremblant. L’agence est pleine de coréens qui attendent leur tour. 
Maintenant, dernière étape, je dois payer avec ma carte bancaire.
Ca ne marche pas.
Nous attendons. 10 minutes, 30 minutes, 40 minutes.
La transaction est validée.

Maintenant il faut imprimer le billet

 

Il n’y a plus d’encre dans l’imprimante, le billet électronique est illisible.
Le gentil monsieur nettoie la cartouche, c’est à peine mieux, mais mieux quand même.
Maintenant c’est le papier qui manque et qui se met de travers. Bourrage.
J’attends.
Il fait nuit maintenant. Udaïpur a bien froid ce soir.
Je ressors avec mon billet avec une folle envie de pleurer.
Tans pis, tans pis, tans pis.

C’est fini maintenant. C’est la fin de mon grand voyage

 

Il fait vraiment froid. Ou alors c’est moi.
A l’hôtel, je passe du temps sur l’ordinateur à faire des choses inutiles, il faut s’occuper les mains, la tête, attendre que la contrariété s’estompe.
Et puis au fond, je suis un peu fière de bientôt annoncer à ma petite chérie que je rentre, que je ne manquerai aucun rendez-vous, que je l’aime, que je suis là pour elle.
La connexion est toujours mauvaise mais assez bonne pour que j’envoie quelques messages.
« Je reviens, ma chérie, je reviens »
« Dis-moi quand ? Il ne faut pas que tu arrives quand je ne serai pas là ! »
Silence. 
« Pourquoi ne serais-tu « pas là » ? »
« Je vais chez Papa, puis après, je pars aux US avec mon amoureux ! »
Je préfère ne rien répondre. J’ai vraiment froid maintenant. Entre hier et aujourd’hui, la situation à bien changé. Elle sent, même à travers un simple message, mon désarroi. Elle devient agressive.
« Maman, tu ne peux pas me demander de tout arrêter !»
« …, c’est moi qui arrête tout »
« Maman, je ne t’ai pas demandé de tout arrêter, tu me culpabilises ! Je m’en sors toujours ! »
Je mets le statut de la messagerie sur occupé.
Au restaurant on ne sert plus ni à manger ni à boire.
Il fait bien froid cette nuit à Udaïpur.
Tant pis.

Le voyage, ça secoue fortement nos rapports aux autres et au monde !

Bien se préparer au voyage, c'est par ici

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