Périple mongol, 4ème jour : rejoindre Bulgan Gol, frontière chinoise

A la réflexion, jusqu’ici tout se passe vraiment bien, c’est plutôt dans la poche, me dis-je en buvant mon café, ce matin-là...

Je me renseigne auprès des innombrables femmes qui travaillent ici, semble-t-il.
Il me faut aller à Bulgan, ville la plus proche de la frontière. Si j’en crois les infos collectées jusqu’ici, je dois y passer une nuit. Il me faudra juste trouver une jeep qui m’amènera au poste frontière : passeport-tampon de sortie – cent mètres à pied – passeport-tampon d’entrée en chine. Après ce sera un bus de vingt heures jusqu’au Kazakhstan, passeport-tampon-entrée, super fastoche.
Je lutte un bon moment avec la réceptionniste pour qu’elle m’aide à écrire sur un papier quelques phrases en mongol pour que je puisse acheter ma place. C’est dans ces moments-là que l’on teste vraiment sa propre patience et son seuil de tolérance.
Il me faudra une éternité avant d’obtenir je veux aller à Bulgan, poste frontière chinois en mongol. Pour les moins érudits, le mongol utilise l’alphabet cyrillique, ce qui ne nous permet pas de comprendre, pauvres hères que nous sommes, la moindre pancarte ou enseigne.
Au début, elle écrit sous chacun des mots yes. Puis elle met un bon quart d’heure à comprendre que je veux un papier pour le montrer aux chauffeurs.

Il y a des pays comme ça, les problèmes de communication dépassent largement la barrière de la langue, c’est plus une question de logique, de mentalité

 

J’ai souvent recours au papier écrit par un local pour trouver mon chemin. Parfois ça marche très bien, le quidam lit et me donne la direction. Mais des fois non, les voilà qui commencent à lire ce qu’il y a d’écrit derrière, qui n’a souvent rien à voir, ou se trouvent tellement embarrassés par ma demande qu’ils demandent aux autres passants et ma demande se transforme en assemblée nationale. Ca se termine en il ne faut pas aller là-bas, ou bien, ça n’existe pas, au pire, ils me donnent la mauvaise direction ou le mauvais bus et je tourne en rond.
Il y a d’autres pays où ils comprennent avant qu’on leur demande, que oui, nous allons au restaurant pour manger quelque chose et non pour faire un tennis comme dirait un célèbre comique. En deux secondes vous voilà assis à une table avec un menu dans les mains. Ça a l’air de tomber sous le sens, mais croyez-moi, c’est loin d’être évident partout. Apres avoir demandé à l’entrée d’un restaurant s’ils servaient du goulasch, reçu une réponse affirmative, demandé le menu, nous être assis et appelé pour passer commande, la serveuse nous a annoncé que la cuisine était fermée.

Là où les voyageurs sont rares, ils se demandent seulement ce que nous faisons là, avec notre maison sur le dos, loin de chez nous…

 

Ils sont intimidés, démunis, blessés dans leur amour-propre de ne savoir nous répondre ou nous comprendre. Ils se sentent parfois jugés, bien malgré nous. Ils s’imaginent que nous sommes tellement riches, habitués au luxe que notre présence seule est insultante, dérangeante. Parfois, c’est juste une notion d’effort. Servir des étrangers, c’est plus compliqué, c’est tout.

Aujourd’hui, la chaleur est écrasante et le soleil éblouissant

 

Je trouve la place où se garent tous les minibus en partance pour Bulgan, tous aussi décrépis les uns que les autres.
Je prends le premier venu, un jeune homme m’accompagne jusqu’au guichet ou je paye mon ticket. Il me donne rendez-vous à trois heures tapantes.

C’est super, j’ai plein de temps, je vais trouver une connexion, ranger mon sac et me préparer pour ce voyage de huit heures, dans le meilleur des cas

 

J’ai tout loisir d’observer les employées de cet hôtel vraiment sur le déclin. Je n’ai toujours pas d’eau dans ma salle de bains mais tout le monde s’en fout. C’est comme ça. Alors je prends mes accessoires de toilettes et je teste toutes les salles de bains des chambres de l’étage.
On m’accorde à peine un regard lorsque je réclame mon sac en plastique contenant mon pain, mon pot de beurre et de miel qui a mystérieusement disparu. Je prends un NON sans appel dans la figure, à la mongole. Il faut que je me fâche tout rouge pour que ces dames qui compulsent un catalogue de produits cosmétiques, se lèvent et qu’il réapparaisse enfin.
C’est normal, c’est la Mongolie.
A trois heure moins le quart, je me présente au chauffeur, des mongols sont allongés sur les sièges et jouent aux cartes. Maintenant j’ai l’habitude, on ne va pas partir tout de suite

Le minibus ne partira que lorsqu’il sera plein, trois heures plus tard, nous sommes toujours sur le parking

 

Je ne cherche pas à comprendre les multiples allers-retours d’une maison à l’autre et pourquoi nous faisons le plein d’essence au dernier moment.

Je partage la banquette arrière avec une dame, c’est super me dis-je, j’ai de la place, pourvu que personne ne se pointe. Et pour une fois, j’ai de la chance, nous finissons par partir, neuf personnes se partagent les sièges, je peux même m’allonger, pliée en chien de fusil.
La route est terrible, ça saute parfois si violemment que je me cogne la tête au plafond.
Pour couronner le tout, le chauffeur s’arrête tout le temps, pour papoter avec les autres bus, fumer des clopes, faire la courses… que sais-je.
Je passe une bonne partie de la nuit à hurler en anglais Music please ! pour qu’ils baissent la musique. Je suis assise entre les deux uniques haut-parleurs arrières de la taille d’une machine à laver. Pour que le chauffeur entende quelque chose, il monte le son à fond.
Une fois, limite deux fois devraient suffire pour qu’ils comprennent… mais non, je vais hurler toutes les demi-heures …et ça les fait rire ! Plus tard ils m’expliqueront qu’ils attendaient que je m’endorme. Super logique, il faut attendre que les gens dorment pour pousser la sono à fond !
Je hurle aussi pour qu’ils ferment les fenêtres car il fait très froid dehors.
Entre les courants d’air qui me courent le long de l’échine, les vocalises mongoles, les secousses, l’odeur de pneu surchauffés, vers deux heures du matin, je suis prête à provoquer Gengis en duel.

Ok, il est presque trois heures quand nous arrivons. Je mime dodo en inclinant la tête sur ma main puis en les joignant au-dessus de ma tête, un toit

 

Okay, okay !
La voiture s’arrête devant un hôtel tout éteint, le chauffeur appelle, pas de réponse.
Je soupire de dépit, demain, Takeshiken, bye bye Mongolia
Ils me regardent tous comme si je leur annonçais une pénurie de Vodka. Ah Ah ! Ils se rendent, là, maintenant tout de suite à Takeshiken !
Ca fait seulement dix fois que je leur dit China border. Je remonte dans le bus.
Je m’étends de tout mon long sur la banquette car ma voisine est descendue. Ahhhhhh, enfin… et me relève tout de suite. Là où cette dame a posé son auguste postérieur pendant douze heures, ça ne sent pas le savon de Marseille.
Encore quelques kilomètres et tout ira bien, un thé ou un café m’attend bien quelque part, une chaise, un banc. Encore quelques heures et j’y serais. Courage.

Le bus s’arrête au milieu de nulle-part. Ce n’est pas une yourte, ni une maison, ni même une tente

 

C’est une construction en planches, carrée, assez basse, toute tendue de bâches en plastique publicitaires à l’intérieur. A l’intérieur, deux grands espaces sur lesquels sont posés des tapis éculés et crasseux servent de lit, des couettes râpées et puantes nous attendent, sagement pliées. Une femme toute fripée de sommeil allume le feu dans un poêle et nous prépare un thé au lait salé. 

Ca papote en mongol, tous rient de moi, les blagues deviennent un peu salaces, il est temps d’aller dormir

 

Je fais un tour dehors pour soulager ma vessie. Le vent souffle fort sur plaine et le spectacle du ciel étoilé me scotche littéralement sur-place. Plantée je suis, mon rouleau de papier toilette à la main, frissonnante sous les rafales glacées. Un spectacle pareil mérite bien de prendre froid, quelques minutes, dans le silence, sans bouger d’un pouce.
Je retourne dans le taudis ou m’attend ma couette et mon matelas. Ca papote encore, le chauffeur m’invite à aller me reposer. Tous en rang d’oignons sur le plancher nous nous endormons comme des soldats dans les tranchées. Je jette un dernier coup d’œil à la pendule en plastique, il est trois heure quarante-cinq.

Passer de la Mongolie au Kazakhstan en passant par la Chine, c'est toute une aventure !

Le voyage est une aventure de tous les instants : même pas peur !

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