Mauditation (retraite de méditation ratée)

Tentative de méditation, Birmanie, Pa-auk-taw-ya Kyaung

 

Comme toute personne de ce monde, je suis curieuse de me connaître moi-même. Qui ne rêve pas de nos jours de trouver la voie, le gourou, le psy génial qui nous révèlera à nous-mêmes, nous donnera la méthode absolue pour trouver le chemin de la sagesse, la beauté intérieure et le moyen de résister au stress de nos vies de dingues ? A ce moment de ma vie, j’ai une énergie de dingue, je suis en forme physique, je voyage, je marche, je grimpe, je porte lourd, j’ai de l’endurance, de la ténacité. 
Mais derrière moi il y a des années de stress, beaucoup de travail, peu de vacances. Je suis aussi en voyage pour ça, changer de mode de vie qui, je le sens bien, aura bientôt ma peau et surtout mon esprit. J’ai entrepris ce fameux voyage qui va (vraiment) changer ma vie en quête de métamorphose, d’inspiration. Alors pourquoi ne pas en profiter pour une introspection plus profonde ? . 

Depuis que je me promène en Asie, je vois beaucoup de centres de yoga, des massages, des oeuvres philosophiques, bouddhistes et des monastères de retraite de méditation 

 

J’ai aussi, pour couronner le tout quelques amis spécialistes de la question m’ayant chaudement recommandé de tenter l’expérience : « tu vas voir, ça va t’épanouir, te calmer, c’est le chemin de la paix intérieure».
Je me sens prête à tenter l’expérience.
Alors que j’arpente les chemins de la merveilleuse Birmanie, j’entends parler d’un monastère réputé pour la méditation. Me voilà donc partie, planifiant trois jours à la recherche de moi-même sur les très précieux vingt-huit jours accordés par le très démocratique gouvernement birman. Direction Pa-auk-taw-ya Kyaung !
Je prends un bus local pour rallier Mawlemine au petit matin. Un bus local de nuit. Il faut savoir que «bus de nuit birman» ne rime pas avec «bonne nuit maman ».
Quand j’arrive enfin à destination, il est quatre heures du matin et je ne suis pas de première fraîcheur.
Mais la nuit est vraiment magnifique, il fait doux, la lune est lumineuse, le ciel plein d’étoiles. Le vent dans les cheveux, le sac sur le dos, une moto taxi m’emmène au monastère situé à quelques dix kilomètres de là. Toute engourdie encore de mes deux précédentes nuits sans sommeil, le voyage jusqu’au monastère, cahoteux et secouant est un pur moment de bonheur cinématographique.

Nous arrivons enfin. La surprise est de taille : c’est immense

 

Une grande allée bordée d’arbres centenaires nous mène au cœur de l’édifice, « the office ».
Il faut que je m’inscrive ici. Mais l’office est fermée, il est trop tôt.
Personne ne dort, que nenni, ils sont tous en méditation. Car ici, la journée commence à quatre heures du matin. Méditation. 
Le premier contact avec le moine de « l’office » aurait pu être plus à mon avantage mais c’est endormie sur un banc, affalée sur mon sac à dos qu’il me trouve, devant la porte à cinq heures et demie du matin. 
L’accueil un peu sec et formel n’en est pas moins touchant car on m’apporte un petit déjeuner que j’ai le droit d’approcher après m’être lavé le visage et les mains. 

On me mène à ma « chambre », deuxième surprise : c’est une bâtisse neuve, d’une propreté éblouissante, claire et simple

 

Je suis seule dans ma chambre monacale. Deux lits sans matelas me tendent les bras. Sans matelas. Ici, il faut emmener ses petites affaires, matelas compris.
La dame qui m’a menée ici est un peu excédée par ma légèreté car, évidement je ne me promène pas avec mon Dunopillo et ma couette dans mon sac à dos. Evidemment.
Elle me prête donc une natte en plastique très inconfortable de l’épaisseur d’une feuille de papier, mais c’est le geste qui compte.
Je ne suis pas au bout du chemin, car il me faut aussi, des couverts et des assiettes.

Heureusement, j’ai une voisine : Une dame de cinquante ans qui en parait à peine quarante

 

Le crâne rasé et la méditation ça rajeunit.
Elle est malaisienne et plutôt gentille car elle me prête de quoi déjeuner. J’échange avec elle mes motivations, lui demande les siennes, nous faisons connaissance. Elle est là depuis cinq ans et son vœu le plus cher est de rester ici à vie. Elle m’explique d’une voix basse et régulière que la voie de Bouddha est magnifique, qu’il faut accepter que nos vies nous échappent, que nos corps se dégradent quoi que nous fassions et que l’on ne peut rien faire contre ça sinon l’accepter.
Et aussi, qu’il ne faut rien désirer, que c’est mauvais pour nous. J’écoute en avalant ma salive, ce n’est pas très joyeux tout ça. 
Je lis scrupuleusement la feuille de route que l’on ma remise à l’office afin que je comprenne bien comment fonctionne le monastère, la méthode de méditation, les horaires, les réunions. Mais je m’endors au bout de quelques minutes. Sur ma planche en bois, le livret à la main.
Heureusement, je me réveille juste à temps pour le repas.

Je me précipite un peu chez ma voisine et je la suis en papotant du mieux qu’elle peut. Car il faut le savoir, le monastère n’est pas un salon de thé ni même un bar de quartier, beaucoup de personnes ici font une cure de silence

 

Pas un mot, ni même un regard. Nous avançons vers la cantine. Il me semble qu’ils sont trois mille à faire la queue, tous en robe rouge, tous le crâne rasé, tous cérémonieux, autocentrés, bien droits dans leurs sandales.
Ma gentille voisine m’enjoint à suivre « des gens comme moi ». Qu’est-ce que c’est, des gens comme moi ? Je ne suis pas au mieux de mes capacités intellectuelles, encore fatiguée du voyage, je me sens perdue.
Des gens comme moi ont les cheveux longs ou en pétard (genre nuit blanche dans un bus local), un pantalon, un tee-shirt et des baskets.
Sur ces belles paroles elle me laisse plantée là.
Je reste bien discrète et je guette. Il s’écoule un temps interminable, car je me sens un peu stupide, ma gamelle en métal dans les mains, dans mon pantalon froissé et mon tee-shirt gris au milieu des saris rouges impeccables.

Je ne saurais dire pourquoi, j’ai bien un petit nœud dans la gorge, un drôle de blues m’embrume l’esprit

 

Enfin, Je peux foncer sur un tout petit groupe de chinois chevelus et pantalonnés. Je me faufile derrière eux et présente ma gamelle inox devant les marmites fumantes qui est généreusement remplie. 
Les dames au service sont gentilles et souriantes, mais hélas, elles ne sont pas là pour m’indiquer la salle de réfectoire. Tout ce beau monde s’éparpille dans des bâtisses inconnues, le site est très grand et, va savoir pourquoi, je me mets à suivre un groupe de moines qui me parait des plus sympathiques.

Je trottine gentiment derrière les moines quand l’un d’eux se retourne. Je lui adresse un sourire qui rendrait Bouddha jaloux

 

Il se retourne et continue son chemin. Je suis toujours. Il se retourne une deuxième fois, le sourcil froncé. Puis une troisième fois.
Là, ça devient moins drôle, il agite vers moi une main balayeuse, comme pour chasser un chien errant.
« Chhh Chh Chh… »
Sympathique.
Je traverse un grand moment de solitude, je dirai même teinté de désespoir. Je suis plantée là au milieu du chemin en bois qui traverse un nombre incalculable de bâtiments sur lequel un drôle de silence s’est abattu, ma gamelle dans la main, tout à fait perdue.
Il n’est pas sûr que ce moine ait pitié de moi car la façon dont il m’enjoint de le suivre en rebroussant chemin est vraiment autoritaire, il est énervé ce monsieur, pas zen du tout.

Je lui demande où nous allons car, à ce stade, j’attends toujours de me retrouver dans la salle commune pour me faire quelques copains en dégustant le menu végétarien si généreusement servi.

 

En fait, il me ramène à « l’office ». Le monsieur affreusement revêche qui m’avait ordonné de me laver les mains ce matin me regarde venir et n’en dit pas moins ces mots tout empreints d’amour de son prochain : « aïe aïe aïe aïe aïe ».
Ok.
J’ai oublié une règle importante, au monastère, il ne faut pas suivre les hommes surtout si l’on est une femme. Ici on ne se mélange pas. C’est chacun de son côté. Evidemment.
Je me retrouve assise à « l’office », seule, entre le bureau, le photocopieur et les armoires d’archives pour la deuxième fois de la journée.
Pour soulager mon désarroi évident, la secrétaire me prête sa cuiller et ce geste là m’achève. J’ai une cuiller pour manger ma montagne de riz mais, je suis toute seule, à l’écart, comme une pestiférée.
Je lave mes couverts, je rends la cuillère et bien résolue à trouver le chemin de la paix intérieure, je pars méditer, toute seule dans ma chambre.

J’ai essayé, vraiment mais j’ai eu beaucoup de mal à ne pas m’endormir. J’ai donc médité en dormant

 

Heureusement, ce soir j’ai un rendez-vous.
Je dois rencontrer le maître de méditation, quelque part dans un des bâtiments, mais ça tombe bien, c’est près de « l’office » et ça je sais tout à fait où c’est.
Ils appellent ça « l’interview ». 
Je sors de ma cellule pour m’y rendre lorsque la responsable du bloc me rattrape. Il faut que je me change. Mon encolure de tee-shirt est trop large, elle doit tout couvrir jusqu’au cou et mon pantalon doit tout couvrir jusqu’aux pieds.
Je retourne me changer.
Le maître est un homme jeune et sympathique. Nous sommes plusieurs femmes, assises en tailleur sur le sol. Les autres sont toutes en sari et racontent leurs expériences intérieures, la respiration, la concentration…
Quand vient mon tour, je n’ai guère le temps de parler, il m’explique comment faire la méditation, mais ça je l’ai déjà lu dans le livret mais il ne me dit pas où ni avec qui.
Après ces paroles, je sens qu’il veut terminer l’interview.
Je persiste et demande si je dois toujours être seule…
Oui. Mais je fais une drôle de tête alors il me dit que c’est quand même possible d’être seule mais à plusieurs. Super programme.

Je crois que c’est le riz, j’ai une boule dans la gorge. Je sors, un peu sonnée, bizarrement pas dans mon assiette, triste

 

Et voilà que me vient l’idée la plus bête de la journée, je demande à l’épouvantail de « l’office » où trouver un groupe pour moi.
Il m’est difficile à ce stade de décrire sa réponse. Je pense que s’il avait possédé un balai assez grand il m’aurait jeté dehors avec comme un détritus.
Je croise le regard étonné de deux moines qui attendent dehors sur le banc. Non, je ne rêve pas, il est odieux.
Je ne sais pourquoi j’ai une soudaine et violente envie de Rock’n roll hurlant, clouté et chevelu, de steak saignant et de Kama sutra.

La mort dans l’âme, je rentre dans mes quartiers, j’ai maintenant l’impression d’avoir une meule de foin dans le gosier

 

Je retente la méditation, et surtout, je tente ma voisine.
Un petit mot sur la porte dit bien « ne pas déranger, méditation » mais comme il était déjà là ce matin, j’en déduis qu’elle a du oublier de l’enlever.
Je frappe à la porte avec dans la main, deux sachets de café, un paquet de biscuit et sur le visage un grand sourire.
« Coucou ! On boit un petit café ? »
Oh la la, la tête qu’elle fait !
Je la dérange en plein introspection et non, ce n’est pas le moment.
Je retourne penaude dans ma cellule. Je sens bien que mon état s’aggrave et que je suis prête à pleurer.
Mais que se passe t’il donc ? J’étais si heureuse avant d’arriver ici !

Le soleil décline, je décide d’aller à la rencontre de mon prochain dans l’allée bordée d’arbre, mais là pareil, chacun marche dans ses pas, autocentré, en conversation avec lui-même

 

Je vais boire un petit café toute seule dans une petite cabane qui se trouve près du portail, je fais quelques dessins en reniflant.
Il est cinq heures, c’est l’heure des méditations du soir, des chants, des cercles.
Je retourne dans la chambre, j’approche le niveau rouge de la détresse absolue.
Les gens ici ne mangent pas le soir. Pas de rencontres, pas de papotages, mais bon, pas de chance de me retrouver à « l’office » encore une fois. Et très vite, l’obscurité tombe sur ma peine comme on referme un cercueil.
Il me faudrait plus d’une page pour parler de la nuit dans ce monastère, seule, dans le silence, sur ma planche en bois, enroulée dans mon paréo qui me sert de couverture. Je suis assaillie d’idées noires, de tristesse et d’angoisses. Il doit y avoir quelque-chose dans l’air, ou dans le riz. Je lutte comme la petite chèvre de Monsieur Seguin contre le loup pour ne pas céder au blues et je pleure dans mon tee-shirt à gros bouillon.

Le gong sonne à quatre heures du matin. Je suis déjà bien réveillée

 

Et puis zut à la fin, je ne me lève pas pour aller méditer.
Je reste sur ma planche en bois, tétanisée, comme coulée dans du plomb.
Si par malheur je me retrouve encore une fois ne serait-ce qu’à un mètre des autres reclus je me suicide avant la fin de la matinée. En m’étouffant avec du riz tiens !
Lorsqu’à cinq heure trente ma voisine revient dans sa chambre, je suis dans le couloir, le sac sur le dos, prête à partir.
IM-PO-SSI-BLEUUU, IMPOSSIBLE DE RESTER ICI UNE HEURE DE PLUS.

Je l’attendais pour lui dire au revoir. Elle n’en revient pas. Elle est toute embêtée, toute étonnée et moi aussi. Elle me recommande chaudement de ne pas abandonner et de faire en sorte de trouver le chemin de Bouddha si merveilleux. J’acquiesce en regardant mes chaussures car je ne veux pas qu’elle lise dans mes yeux tout embués que le seul chemin que je veuille trouver maintenant c’est celui qui m’emmènera loin d’ici.
Elles me demandent pourquoi je pars si vite et je ne peux même pas articuler une réponse correcte tant je dois lutter contre l’angoisse qui me tord la gorge.
Les autres pensionnaires sont aussi tristes de me voir partir et me saluent chaleureusement.
Je fais tout mon possible pour surtout ne pas revenir à « l’office », surtout pas, ça m’achèverait.
Là maintenant-tout de suite-à l’instant-immédiatement-comme un pipi pressant IL FAUT que je m’évade, que je me barre, me carapate, me tire… il faut que je m’envole.
C’est trop dur, même si je ne sais toujours pas ce qui est trop dur. C’est indéfinissable.
La méditation, c’est sûr que ça marche, ça a produit sur moi un effet bœuf, oups pardon, un effet vache. J’étais la joie incarnée (donc sans viande), trop la patate, la frite, le moral et je me retrouve prête à exploser en sanglots à chaque instant !
IN-CROY-YA-BLEEEEUUU !
NON NON NON NON ET RE-RE-RE-NON !
Je pars lâchement, d’un pas mal assuré (ça commence à faire pas mal de nuits sans dodo), au soleil levant dans les brumes de l’aube, le nez en l’air… et j’ai l’impression de quitter l’enfer.
Une mobylette me dépasse dans la grande allée baignée de lumière dorée et me propose ses services de taxi. Je ne négocie même pas le prix, je ne cherche même pas un hôtel en particulier, le premier fait l’affaire et explose mon budget, grand luxe. Il me faut au moins ça pour me remettre sur pied.
Moralité, être entourée de gens résignés à mourir sans combattre, qui jamais ne croisent mon regard, jamais ne s’engueulent, jamais ne rigolent en buvant un verre, un café avec les copains, jamais ne mangent un steak et jamais ne tombent amoureux fous, ça m’a bien secouée pour tout dire et rendue aux dures réalités de ma vie de dingue… que j’aime par-dessus tout.

 

Partir à la découverte du monde, de soi et des autres !

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