Un voyage de nuit sur un bateau pourri ça fait réfléchir à sa zone de confort

Prendre le bateau en Asie, ça relève parfois de la caricature

 

Le bateau qui relie Ko Tao au port de Surat Thani, Thaïlande est un bateau dortoir que je vais prendre le temps de décrire.
Quatre rangées de trente matelas, soixante centimètres de large, cent quatre vingt de long, posés à même le sol, un minuscule oreiller en bonus.
Ni drap, ni couverture, nous sommes collés les uns aux autres comme des sardines dans une boîte.
Hauteur de plafond un mètre soixante (facile à vérifier, je tiens debout).
Le bateau est plein. Moyenne d’âge, vingt-cinq ans.
Ca déballe les sacs à dos à tout va. Il en sort des paquets de biscuits, des sandwichs, des bouteilles d’eau, c’est la colonie de vacances.
Et ça rit à gorge déployée de blagues potaches.
La plupart ont sorti leur ordinateur portable miniature et joue à je ne sais quoi ou regardent leurs photos de voyage.
Le bateau s’en va. Au ralenti, le bruit du moteur qui était à peu près insupportable, maintenant, il accélère et toute la carcasse tremble et tangue.
J’ai comme une envie de faire mon testament tout à coup. Je regarde autour de moi, la grande majorité des voyageurs n’a pas du tout l’air inquiet. 

Sept heures de traversée, ça promet d’être long. Les fenêtres sont grandes ouvertes, une rangée de ventilateurs nous aèrent un peu, c’est une chance car déjà ça sent le chameau et la nuit ne fait que commencer.
Et ce rafiot, finalement n’a pas l’air si solide que ça…

Le bateau qui nous transporte est un chalutier : juste un pont couvert de 120 lits, une cale à marchandise et des toilettes en sous-cale

 

Je n’ai rien acheté à manger, ni à boire, croyant naïvement que je trouverai quelque chose à acheter à bord.
J’ai bien pris un bateau de nuit pour trois cent baths (quinze euros). J’ai eu la vision fugace de petites couchettes, toutes simples. Comme dans les trains.
Je dois même confesser que j’ai imaginé un petit bar qui vendrait des sandwichs mous et des bières tièdes.
Me voilà bien partie. C’était ça le projet, des endroits simples, loin des sentiers battus par le tourisme de masse, voyager avec les transports locaux. Des treks dans la jungle, des cafards grillés au petit déjeuner, des trains de nuit. 
Je voulais un voyage, un vrai, loin de ma zone de confort. Et bien, certes, il y a du nouveau, je ne m’étais jamais retrouvé sur un rafiot délabré qui a transformé sa cale en dortoir. Nous ne pourrons pas bouger d’un pouce durant tout le trajet. En dehors de la cale-couchette, il n’y a rien. 
Ceci dit la situation, si je n’avais pas si faim, serait des plus sympathiques.
Mais j’ai faim et tout le monde boulotte des chips autour de moi. Ca rend nerveux le bruit de mandibules écrasant de la patate grasse et salée et du biscuit chocolaté quand on a le ventre vide.

Il y a des voyages comme ça où l’assurance d’arriver à destination n’est pas garantie

 

Je me demande comment nous allons arriver à dormir si personne n’éteint les énormes néons blancs qui diffusent une lumière glaciale. Comme par magie, la lumière s’éteint plongeant le pont dans le noir absolu. Et c’est ce pont là qu’il faut traverser, courbé en deux en slalomant entre les sacs et les couchettes pour aller aux toilettes qui se trouvent sous le pont ! Je jure de ne pas aller aux toilettes quitte à me faire exploser la vessie.
Ca et là une lumière timide d’écran d’ordinateur éclaire un visage béat ou sérieux.
Le bateau tremble toujours autant et prend la houle, de haut en bas. 

J’ai dans mon sac cabine tout l’attirail du Schtroumpf Bricoleur : une lampe frontale, des écouteurs, mon fidèle ordinateur portable, un pyjama. L’essentiel  pour passer une nuit trépidante à écouter Adèle ou Zeava Ben, penser à mes sales gosses, écrire que je pense à eux, que je pense à demain et à tous les jours qui viendront après, une fois que j’aurai survécu à cette traversée sur un Titanic thaïlandais.
En plus, vu que la mer est chaude ici, ce sont les requins qui auront ma peau si j’arrive à échapper au naufrage.
A dire vrai, je ne suis pas vraiment inquiète. Le sommeil a raison de tous les passagers et le pont s’endort, moi avec. La capacité des humains à s’adapter est étonnante. On s’en remet au destin, à Dieu, aux médias qui jamais n’ont relaté un naufrage sur cette route maritime. 

L’humain dans les transports se comporte parfois comme du bétail

 

Au petit matin, alors que le bateau accoste à Surat Tani, les passagers se secouent et c’est la foire. Les sacs sont remballés, les voyageurs hébétés frottent leurs yeux bouffis, arrangent leurs habits. 
Le débarquement est violent dans cette aube froide. L’équipage moleste les bagages et aboie sur les passagers. Le mépris des employés pour son fret matériel ou humain est palpable. Tout le monde est dirigé comme du bétail sortant des camions. 
Personne ne se plaint, tout le monde à l’air de trouver ça normal, ou alors ils font semblant. Quoi qu’ils en pensent, ils suivent docilement le mouvement. Cette soumission immédiate, tacite m’étonne toujours beaucoup. Je pense aux trains français quand ils étaient en grève, nous nous retrouvions tassés, écrasés dans des wagons acceptant tout pour enfin pouvoir rentrer chez soi. On payait le prix normal du billet, on se plaignait parfois mais surtout, on acceptait d’être traité comme des moutons. Parfois, le train s’arrêtait dans une gare, il fallait descendre et attendre un autre train que personne n’annonçait. Nous attendions alors sur le quai glacé, à 10h du soir, en pensant aux enfants seuls à la maison. 
Pour la plupart d’entre nous, le plus important c’est la destination, alors on se plie aux ordres ou au désordre en attendant la fin du voyage. 
J’ai pris des centaines de bus, de trains, de taxis et tout ce qui peut servir de transport en commun sur terre. Très souvent, le véhicule était bondé et le conducteur n’avait pas toujours beaucoup d’égard pour ses passagers. Il semble que le simple fait de se rendre maître d’un véhicule peut transformer le commun des mortels en tyran potentiel. Est-ce à cause du statut de seul maître à bord après Dieu ?
Rien de nouveau sous les tropiques donc, j’ai fait mes classes à la SNCF et la RATP, je me sens capable de parcourir le monde entier sans moufter. Il faudra plus qu’un bateau pourri en pleine nuit pour m’impressionner.

Pour relativiser, rien de tel que de trouver un sujet réjouissant

 

Petite histoire drôle pour attendre demain : un bellâtre argentin de quarante cinq ans, tenancier de bar à Ibiza me tourne autour comme un squale depuis quatre jours. Apprenant que je partais pour la côte Ouest par le bateau de nuit il s’est empressé de partir sur le même que moi.
Le comique de la scène vous échappe certainement et c’est seulement parce que vous ne pouvez pas voir la tête qu’il fait. Il n’en revient pas de s’être embarqué dans une pareille galère pour une fille qui l’a déjà éconduit trois fois et avec qui, juré-craché, il n’a aucune chance de conclure !

En voyage, c'est le moment de se dégourdir les jambes : en marche vers les merveilles du monde !

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

error

Vous aimez cet article ? Partagez-le ou réagissez !

error: Content is protected !!