Voyage en Birmanie dans un train pas comme les autres

Les trains birmans vous embarquent dans un voyage extraordinaire

 

Le train est un moyen de locomotion idéal pour découvrir un pays. En général le voyage dure longtemps ce qui donne l’occasion de profiter du paysage. Dans un train, contrairement au bus, on peut bouger, passer de wagon en wagon et faire connaissance avec les autres voyageurs.
Ce train de Birmanie, partant de Mandalay pour arriver dans le Nord durât plus de 15 heures. Une vieille micheline à gaz tirait d’innombrables wagons chargé au maximum. En mouvement, chaque seconde est une secousse et on sursaute en permanence sur les sièges défoncés de la première classe.
Pas de bar, des toilettes avec trou et sans eau, pas d’air conditionné, pas de réseau, pas de prise électrique… et pas d’horaires.
La base de la base. Pourtant, ce voyage-là est digne d’un film en cinémascope.

Le voyage commence à la gare de Mandalay…

 
Un très gentil monsieur s’occupe de me donner tous les renseignements sur le trajet jusqu’à Nabar, en direction du nord.
Il consulte d’innombrables grands cahiers manuscrits, fait plusieurs allers-retours dans d’autres bureaux.
Les guichetiers sont assis sur de grands tabourets, fument le cigare et mâchent du bétel dont ils crachent régulièrement le jus rouge sang dans un grand gobelet.
Mon informateur est très fier de s’occuper de moi. Tout le monde vient me voir dans son bureau comme une curiosité. Il les chasse gentiment.
J’opte pour le départ en fin d’après midi. Dix à onze heures de trajet. Je dois arriver vers six heures du matin, c’est parfait.
Je dois payer en dollars car je suis une étrangère. En Birmanie, c’est comme ça. Même si j’ai des kyats, je dois payer en dollars.
Le guichetier fait le billet, tout est écrit à la main, avec mon numéro de passeport et peine à écrire mon nom en alphabet latin.
Il m’informe tout de même que ce n’est pas un train de nuit et s’empresse de me proposer la première classe. A treize dollars le billet, je ne chipote pas puisque je dois pouvoir m’allonger dans mon siège.
C’est parti mon kiki.
Sac sur le dos, le lendemain à l’heure dite, j’arrive à la gare.
Un autre gentil monsieur qui filtre l’accès au quai s’empare de mon précieux billet, masque à peine sa surprise et me conduit au train.
 

Heureusement que j’ai un billet de première

 

C’est un gros wagon toutes fenêtres ouvertes, les sièges sont noirs de crasses , ils n’ont pas vu de lessive depuis quarante ans.
Le plafond est couvert de mouches, de libellules rouges accrochées comme des chauves-souris et d’araignées. Pas les fragiles faucheux de nos contrées, non, des grosses et pas farouches du tout. Elles ont tout le temps de croquer les libellules qui ont la maladresse de se prendre dans leur toile, si si, j’ai assisté au crime en direct. Elles ont un bail à vie ici. Elles sont sûres de ne pas être dérangées par un plumeau zélé.

Mon siège est occupé par des birmans qui se font chasser sans ménagement par le contrôleur. Je m’installe. Pssst, Pssst! Une myriade de vendeuses, plateaux chargés de victuailles sur la tête m’appellent par la fenêtre. Elles sont très discrètes, attirent mon attention avec des bruits de bises, des houhou feutrés. Bizarre.
Je demande des fruits. Elles courent chercher la marchandise comme des dealers d’héroïne.
Je paie juste à temps avant de les voir détaler comme un troupeau d’antilope sentant venir le lion : un contrôleur arrive.
A Mandalay, les vendeurs sont interdits sur le quai, il faut aller aux boutiques. C’était effectivement étrange qu’elles ne se tiennent pas sur le quai, mais de l’autre côté du train, sur les rails. Elles partent en riant, le contrôleur les chasse comme des oiseaux voleurs, sans méchanceté.

Dans ce train, je suis une étrangère sous haute surveillance

 

Alors que j’attends le départ, je vois arriver à la fenêtre un homme en uniforme très essoufflé et dégoulinant de sueur.
Il se présente à moi dans un anglais très approximatif. Je lui serre la main et je me présente en souriant. Le contrôleur l’a prévenu qu’il y avait une étrangère à bord et cet homme, c’est le policier du train. Tenant toujours ma main dans la sienne, il m’explique qu’il veillera à ma sécurité et que je dois venir le voir en cas de problème. Il est touchant de sincérité. Je le remercie et je n’aurait pas besoin de ses services car à bord de ce train, c’est tout le monde qui va veiller sur moi.

Le train démarre et ça ressemble fort à un décollage de fusée

 

Les fauteuils sont complètement défoncés, assise et dossier sont presque tous disloqués. D’ailleurs le mien ne se redresse plus du poids des ans et fait le yoyo à chaque embardée. Et des embardées je ne vais pas en manquer.
Ce n’est pas un train, c’est un bateau sur rail. 
Un supertanker naviguant au milieu d’un océan de rizière, dans la nuit épaisse, dans l’air brouillé de poussière dorée du couchant, dans la blancheur de l’aube, dans les fourrés denses dont les branches tenaces rentrent par la fenêtre. Poussif, raide, disloqué, troué, bruyant, mais entêté dans l’effort, tirant bravement son fret de sacs de riz, de pastèques, de farine, de femmes et d’enfants chargés comme des ânes…
Nous gitons violemment de droite à gauche ou bien quand nous prenons les vagues de front nous sautons sur nos sièges comme sur un trampoline.

Je vois les autres wagons tanguer si fortement que je me demande comment ils ne se décrochent pas.
Dans ce train il y des fenêtres qui ne ferment pas. De toute façon il fait une chaleur tellement épaisse et collante que j’ai l’impression d’être couverte de confiture. 
Elles resteront ouvertes durant tout le voyage, avec parfois un petit renfort de ventilateurs accrochés au plafond.
A chaque arrêt, des vendeurs montent dans le train. Ils proposent du riz dans des barquettes en polystyrène, des tas de trucs en sachet, des boissons fraîches. Ils passent et repassent, puis descendent à une gare, reprennent le prochain train dans l’autre sens.
Tout le monde dort en travers des sièges, les pieds à travers la fenêtre, certains à même le sol.

Dans ce train se trouve des compagnons de voyage extraordinaires

 

Ici, inutile de s’accrocher à son sac par peur des vols. Tous mes compagnons de voyage savent qui je suis et certains viennent même des autres wagons pour venir me voir. On me souhaite bon voyage, on s’enquiert de savoir si je ne manque de rien. 
Alors que je suis complètement perdue dans l’itinéraire, que je ne peux pas lire les noms des gares en birman et que je ne peux pas me repérer à l’horaire, je me repose sur les autres voyageurs.

Tout au long de ces 18 heures de voyage, les contrôleurs vont se succéder pour venir me saluer. Sous couvert de vérifier mon billet, ils viennent me serrer la main ou se présenter. Ils prennent beaucoup de temps pour l’examiner, très sérieux, lisent et relisent mon nom. A chaque fois ils s’inclinent avec un « thank you miss Christine » ou « welcome ». Mon ticket ne les intéresse pas du tout, ils savent déjà que je voyage en règle. 

Les autres voyageurs du compartiment savent aussi où je me rends, que je suis française. Chacun son tour, ils me saluent, me renseignent sur le bus à prendre, le bateau, l’hôtel, l’un d’eux me propose même de m’accueillir chez lui.
Ils me prennent en photo. Discrètement, quand je m’assoupis.
Lorsque je veux acheter quelques fruits pour deux cent kyats, faute de monnaie je tends un billet de cinq mille kyats. la vendeuse n’a pas le change. Le contrôleur qui surveille la transaction au cas où on me ferait payer plus cher s’empresse de payer pour moi, la main sur le cœur.

Pas d’autres étrangers à bord du train. Peu de touristes choisissent ce mode de transport, d’ailleurs, très peu d’entre eux, à part les humanitaires vont dans le nord. C’est loin, bruyant, inconfortable, les heures de trajet se comptent en jour. Ils font plutôt des circuits touristiques, visitent les temples, les plages, le lac Inlé.
Lorsque je descends sur le quai pour fumer une cigarette, les birmans s’attroupent autour de moi, parfois ils discutent, sinon ils me font des signes de la main, pouffent joyeusement lorsque je leur réponds ou bien ne disent rien du tout et observent.

Le train s’arrête tout le temps. Aux gares le plus souvent mais aussi au milieu de nulle part et personne ne sait pourquoi

 

Parfois il faut attendre un autre train à croiser. Un aiguilleur se tient prêt à la manœuvre, je vois sa silhouette sombre au milieu des voies, perdue dans l’obscurité, une barre de fer à la main.
Au beau milieu de la nuit, alors que presque tout le monde dort, je sors mon appareil et vais faire un tour dans les autres wagons.
Heureusement que j’ai choisi la première.
Le standard de la deuxième classe tient plus du fourgon à bestiaux que du transport de personnes. Des bancs en bois, le sol en plancher disjoint, pas de ventilos. Totalement vétuste.
EN Birmanie, tout sert jusqu’au bout. Les bus n’ont rien à envier aux trains. Ils sont réparés jusqu’à ce que la rouille les ronge et qu’ils ne tiennent plus debout. Ils finissent leur vie de labeur au bord des routes, pourrissant lentement sous la pluie et le soleil brûlant.

Des gares grouillantes de vie, 24h sur 24h et 7 jours sur 7 qui s’activent au rythme des trains

 

A chaque gare, lorsque le train s’arrête, c’est l’effervescence. Sorties d’on se sait où, des vendeuses, plateau sur la tête arpentent le quai, rentrent dans les wagons en haranguant les voyageurs d’une jolie mélopée birmane qui, je suppose s’apparente à notre « chouchous, qui veut des chouchous ! » des vendeurs de plage.
Certaines posent des bougies sur le plateau au milieu des victuailles. Elles passent et repassent durant tout le temps de l’arrêt. Et ça dure… Ici pas de stress de peur de louper la descente.
Les hommes, serrés dans leur longyi, sorte de jupe, sortent par dizaine chargés de sacs pesant sur leurs épaules comme des chevaux morts. Ils courent à petits pas, ployant sous le fardeau. Chargent et déchargent le train, encore et encore.
Je vois leur danse laborieuse sous la lumière blafarde des néons de la gare. Lorsque le train est à nouveau plein, ils se regroupent en soufflant, traînant les pieds, vers les tables, les bancs, fument des cigares, s’allongent où ils peuvent et s’endorment aussi sec, jusqu’au prochain convoi. 

Il est trois heures du matin dans cette gare au nom illisible, imprononçable. Tout s’agite. Les feux sont allumés, posées à même le sol, les grandes marmites de nourriture fument, les femmes sont assises en groupe, coupent des fruits, cuisinent, discutent. Seuls les enfants dorment presque nus, allongés sur des nattes posées par terre, au milieu de tous. 

A bord de ce train, je ne voyage pas en Birmanie, j’ai pris un aller simple pour une séance de cinéma 

 

La nuit est collante et poisseuse. Il fait une chaleur de dingue.
Une jolie jeune femme toute menue parcourt le quai pour vendre des pastèques  monstrueuses. Je peux sentir que l’effort qu’elle fournit n’est pas des moindres. Chaque mouvement, chaque pas est tendu. Elle me sourit, me fait un signe de la main. Je n’achèterai pas de pastèque diplodocus, mais à chaque passage elle me sourit et me fait signe.
Le train traverse la nuit avec opiniâtreté. Je ne dors pas parce que c’est trop beau.
Secousse secousse secousse secousse, tchouk tchouk.
Balance droite gauche droite gauche droite gauche, secoue secoue secoue…
Sur le bord des voies, si près qu’on peut les toucher en tendant le bras, des tentes, des cabanons en paille. L’habitant sort dès que le train s’annonce, brandit une torche verte pour lui signifier que la voie est libre. C’est un employé des chemins de fer de Birmanie.
Dans la nuit la plus noire, des silhouettes, sur les rails. Je vois leurs bras tendus frôler les wagons jusqu’à s’enfoncer dans le vide de la porte et hop! attraper la rampe, courir derrière le wagon, le perdre, prendre un deuxième, le perdre encore, puis réussir enfin, monter à bord en clandestin. L’exercice n’est pas sans risque, j’en ai vu retomber dans l’herbe.

Toute la Birmanie en un seul voyage : ce train est un film en 3D

 
En Birmanie, tout le monde jette les détritus n’importe où. Dans le train pas d’exception, tout est évacué par la fenêtre. La voie est jonchée de déchets.
Parfois, des enfants attendent sur le bord des rails et récupèrent ce qui tombe, le disputant aux chiens.
Le train ralentit souvent lorsqu’un village organise une collecte religieuse. Les femmes se tiennent près des rails, secouant de grands récipients argentés qu’elles secouent pour les faire tinter. Les voyageurs tendent le bras jettent un billet et reçoivent en retour un minuscule sachet de fruits ou de soja grillé.
Je vois dans la nuit, des cabanes en palmier tressé, grande comme un cabanon de nos jardins. A l’intérieur, une bougie éclaire une seule chambre, une femme agenouillée, des enfants auréolés de lumière dorée, couchés parterre. Dehors, un buffle endormi, autour, des rizières et la nuit toute entière.
 

Une pleine lune dans le ciel noir s’invite au voyage

 

Je ne peux pas faire de photo du spectacle qui s’offre à moi.
Impossible.
Il faudrait être très, très doué. Il faut être poète.
La lune éclaire la nuit d’encre, auréolée de nuages gracieux, suspendus dans un ordre parfait. La clarté laiteuse se reflète dans les rizières, les étangs, illuminés comme des vitrines. Les ombres chinoises des palmiers à la tête ébouriffée se dressent au milieu des champs. L’air est dense, l’obscurité rassurante comme le ventre d’une maman. Tout semble si calme dehors, malgré la fureur du bruit de ce train chaotique. Pas de villes, pas de béton. Pas d’avions dans le ciel. Pas de lumières artificielles.
Des rizières à perte de vue. Des collines hautes baignées de brume.
Tchouktchouktchouktchouk, secousse secousse secousse secousse…

Après la nuit épaisse, le train s’enfonce dans l’aurore incandescente

 

Le ciel blanchit.
Noir, bleu, gris, blanc.
La lumière d’une blancheur aveuglante inonde le wagon.
Les rizières deviennent fluorescentes.
D’élégantes aigrettes d’un blanc immaculé inspectent gracieusement les cultures.
Et je vois, dans les champs, déjà, les buffles d’eau tirant la charrue, les chapeaux coniques des femmes courbées sur les pousses de riz, les moines en saris rouges dans les champs anisés qui se rendent au temple.
Douze heures de trajet.
Comme par magie, répondant à un signal subliminal, toutes les libellules se décrochent du plafond dans une synchronisation parfaite et se sauvent par les fenêtres.
Les passagers se lavent le visage, les mains, les bras à travers la fenêtre, ils se brossent les dents.
Ils achètent un petit déjeuner sur le quai, boivent un café au lait sucré dans un sac en plastique avec une paille. Ils mangent du riz accompagné de viande épicée ou des beignets.
Dans le wagon, ils plient les matelas, les couvertures, rangent les sacs débordants et parfois, comme moi, se rendorment.
Je pourrai rester dans ce train, encore et encore, ne jamais arriver.
Quinze heures de trajet.
La chaleur devient suffocante à mesure que le soleil monte dans le ciel et pas de ventilateur dans la journée. Il faut économiser l’électricité.
Secousse secousse secousse secousse, tchouk tchouk tchouk tchouk.
En face de moi, une maman en sueur évente son bébé abandonné dans le sommeil. 

Six heures de retard, en Birmanie c’est une broutille !

 
Dix-huit heures de trajet.
Nabar, enfin.
J’arrive à treize heures trente. Six heures de retard. Vraiment pas de quoi se plaindre, une broutille.
De là, je veux aller à Khata en bus pour prendre le bateau qui va à Bhamo, puis à Myiktiyna, encore plus au nord.
Ce sont les passagers et le contrôleur en personne qui me préviennent. Sans eux, je ne saurai pas à quelle gare descendre. Je n’ai encore aucune idée de ce qui m’attend. 
Je ne demande rien mais on me porte mon sac, on me trouve un tuk-tuk dans lequel on s’entasse à dix. Impossible de refuser leur aide.
On me trouve une guesthouse aussi car il n’y a pas de bateau. Pour moi il n’y en aura jamais. Ils sont interdits aux touristes à cause de la guérilla qui fait rage entre les ethnies Kachin et le gouvernement. D’ailleurs, on m’explique que quelques jours auparavant, le bateau à explosé sous des tirs de roquettes, très peu de survivants.
C’est une contrée difficile pour les voyageurs. Personne ne sait, si oui ou non il est possible de prendre le bateau, personne ne sait les trains, les horaires, les transports, les autorisations. Aussi bizarre que ça ne paraisse, personne ne parlait de guerre, de tensions, de danger. 
Personne ne sait vraiment mais chacun y va de son affirmation. Il faut demander à dix parfois vingt personnes avant d’avoir un bout de certitude sur la marche à suivre. Et tout ça en birman, toujours très gentiment.
 

Et bientôt, 24 heures de train supplémentaires pour retourner à Mandalay

 

Il me faudra refaire dix heures de « China train » pour aller à Myiktyina.
C’est une zone de conflits, mais ça, c’est une autre histoire.
C’est là que j’apprendrai de la bouche d’une bénévole qu’il ne faut surtout pas prendre le train pour venir ici, qu’il y a beaucoup d’accidents, que se sont des michelines à gaz vétustes et qu’elles explosent souvent. Sans blagues.
Je reviendrai à Mandalay par le train direct, vingt-quatre heures de trajet cette fois.
Certains vendeurs me reconnaitront, tout heureux de me revoir, j’aurai un voisin bourré au whisky, j’aurai mal au ventre, on m’offrira du riz collant dans un bambou, un paquet de cigarettes, des crackers, des lingettes. Je serai fatiguée, à moitié sourde, courbaturée, étourdie mais enchantée.
Un peu sonnée, je reprendrai pied sur la terre ferme, avec une sensation de tournis.
Les marins appellent ça le mal de terre.
Et je crois bien que c’est de cela qu’il s’agit.
Comme il va être difficile de retrouver le TGV, le métro. Comme les voyages en France me semblent ennuyeux. Je ne suis pas sûre de résister au choc. 

A la découverte des beautés du monde...

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