Vie de voyageur : les hippies rastas cools

Le voyage offre des rencontres formidables : les autres voyageurs en font partie !

Don Det est une île du Laos, tout près de la frontière cambodgienne. C’est une île parmi des milliers d’autres, sur le plateau des Boloven.
Minuscule, il n’y à guère ici qu’une rue principale, et encore, en terre battue. Ces îles sont courues pour la faune locale : les babas cools rastas qui y ont élu domicile. Voici leur portrait, à prendre au second degré évidement.

A Don Det tout est happy et fait pour les hippies. Happy  guesthouse, happy Bungalow, Happy bar, happy shake et happy cigarettes

Les habitants de ce petit territoire consistent en trois catégories : les autochtones, les touristes et les touristes rastas-cools. Ces derniers sont les plus intéressants. Ils fréquentent des bars où tout le monde est assis par terre sur des coussins crasseux, fumant des pétards odorants tout en écoutant Bob Marley, toute la journée.

Fatigués au réveil, ils trouvent que onze heure du mat, c’est vraiment trop tôt, commencent le petit déjeuner par quelques cigarettes et l’après petit déjeuner par quatre ou cinq pétards et plusieurs bières (ça donne soif).
L’occupation principale de la journée reste le roulage de happy cigarettes, la recherche de bières fraîches et déambuler trop cool, hilares dans les rues…
Ils sont tatoués par HP ou Epson mais à la hache, percés au fusil mitrailleur ou au bazooka et portent des coiffures qui ressemblent à des perruques ou à des filets de pêche tellement énormes que je me demande comment ils ne marchent pas le nez en l’air.

Ils ont souvent les dents noires et/ou tordues, des barbes épaisses, tressées, brodées de perles ; des boucles, piercings, clous, vis, rivets, démonte-pneus et autres tringles à rideau fichés dans la langue, les sourcils, le dos et j’imagine aussi sur les parties génitales mais je ne suis pas allée vérifier

Ils portent toutes sortes de bijoux aux significations ésotériques profondes et des vêtements… euh qui ressemblent à du cousu main mais de la main gauche et tellement usés, troués, déformés qu’ils pourraient être exposés au musée de la première guerre.
Et sales. Car on les voit tous les jours avec les mêmes affaires sur le dos. J’en déduis donc, et ils ne sentent pas tous le savon de Marseille.
Ils portent leurs hardes avec un style inimitable qui frise l’arrogance, mais de l’arrogance trop cool, ce qui vous l’admettrez, est trop antinomique pour être acquis rapidement, ils ont du s’entraîner, c’est sûr. C’est radasse, mais c’est cool.

A Don Det, ces hippies rastas cools sont souvent torse-nu. On voit donc bien les tatouages. Ils sont tellement énormes, colorés, mystérieux, terrifiants et voyants qu’il devient impossible de ne pas poser de questions sur leurs significations. Ils sont un peu faits pour ça non ?

Eh bien non ! Ne faites surtout pas ça !
Si vous lancez le sujet, ils vous regardent de biais, mais de haut (là aussi, ils s’entraînent, ce n’est pas facile ! j’ai essayé).
On peut lire dans le regard bovin qu’ils vous accordent une condescendance infinie : vous sentez vraiment que votre cerveau n’est pas fait comme le leur. « Tu ne peux pas comprendre ! » La signification du mandala entourant un lion couronné, un lézard-jaguar, un truc qui ressemble à un extra-terrestre qui pleure, un cœur dans sa cage thoracique façon écorché, placé au bon endroit, un poisson rouge vert et même, même des citations et ce n’est pas du Shakespeare.
Ils ont raison, je ne comprends pas comment on peut se transformer en bande dessinée sur pieds. Pour toujours. Au fond, c’est leur seule richesse puisque c’est tout ce qui reste quand ils ont enlevé tout le reste.

Au final, vous passez pour un vieux réac (mais un vieux réac curieux cherchant à comprendre) qui ne comprend rien au sens profond de la vie, la vraie

C’est pour moi le paradoxe absolu : ils sont tellement cools, tellement peace and love, tellement open, certes, mais ils jugent les non hippies-rasta-cool bien durement. En fait, ils les considèrent comme des vieux cons, tout simplement. 
Je suis toujours heureuse de rencontrer des voyageurs, quels qu’ils soient. J’aime écouter, échanger et débattre. Et puis, j’aime mon prochain et j’évite de juger en général, plus particulièrement encore sur l’apparence. Ce qui m’a interpelée dans cette communauté, c’est justement que j’ai été jugée sur mon apparence, mon âge, ma vie. Alors, ne serait-ce pas là les principes mêmes de la ségrégation, discrimination et intolérance ? Ne se retrouver qu’entre membres de la même « tribu », même code vestimentaire, même mentalité et mépriser ceux qui sont différents et pensent autrement ? 

Je me console de l’affront en les imaginant à soixante-dix ans !

Je ne peux m’empêcher de mettre tout ça en équation. Admirez le travail de cogite dont je suis capable quand je suis inspirée, moi qui ai eu cinq sur vingt en math aux exams.

Donc : (sarouel troué et sale + tatouages partout)² x (dredlocks² + (démarche de chameau + œil torve)) x sourire énigmatique et mou²) = la génération future qui va nous coller à l’hospice !

Il me faut préciser que je n’ai vu dans le troupeau, aucun beau garçon.
Quand aux filles… c’est un peu mieux, mais bon. Pas un seul boulet de canon !
J’en déduis donc que les fringues pourries, les tatouages déments et les cheveux sac poubelle sont un acte de valorisation de leur petite personne à peu de frais.

Pourtant, au-delà de ce style inimitable se cache de jeunes diplômés, des élèves studieux issus de familles tout à fait standards, intelligents, citant plutôt Stephen Hawking et Chomsky que Bouddha ou Lao Tseu. 

Quant au mode de vie, les hippies rastas cools ont une façon géniale de résoudre tous les problèmes existentiels de la planète !

Euréka ! Ils vont solutionner la crise et mettre une bonne fois pour toute Lagerfeld au placard, les firmes cosmétiques sur la paille et résoudre tout les problèmes de chômage (puisque plus personne n’ira bosser CQFD).
Terminés les problèmes de pouvoir d’achat et de frustration chronique des français ! Fini le cachemire et le coton égyptien, vive le bon vieux tee-shirt troué ! Fini les Louboutin hors de prix, vive la savate éculée !

Complexé par les rides, le bide ou les dents manquantes ? Fume donc quelques pétards, mange une omelette aux champignons hallucinogènes et tu t’en foutras complètement !

Plus de grève surprise, plus de boulot fatiguant, plus de stress, plus de burnout, plus de pollution. Ils ont tout compris. 
Car eux, ce sont des vrais, des purs. Ils n’ont rien à voir avec des hipsters aux biceps rebondis ou des filles sublimés par des tatouages XXL moulées dans des tops sexy. Ils revendiquent la crasse, la paresse et le mépris qu’ils ont pour la génération de leurs parents et pour ce monde consumériste et high-tech, ce qui ne les empêchent pas d’utiliser des smartphones, of course. 

Je me demande où ils seront dans un an, dans dix ans. Resteront-ils à Don Det, sur ces îles tranquilles ou iront-ils fonder d’autres tribus dans un pays clément aux lois souples et au climat doux. 

A mon fils de 18 ans qui boit, fume et rêve en rastacolor

Ultime révélation (et pas des moindres) : pourquoi me faire du mouron pour mon fils cadet qui rêve de cette vie hippie-cool : il est carrément trop beau pour le rôle ! En plus, il adore les fringues. Il a les cheveux trop fins pour les dreadlocks et son regard pétille d’une vive intelligence. Ouf ! Je n’irai pas à l’hospice !