Un bout de paradis, c’est facile à trouver ?

Trouver un coin de paradis sur cette vaste planète, ce n’est pas si simple !

 

Pour arriver au paradis de cartes postales, il faut parfois du courage et de la persévérance mais la récompense n’est pas toujours au bout de la plage !

 

Le bateau qui mène à l’île enchantée est vétuste, bruyant, inconfortable. Tout y est cassé, foutu, vieux, irrécupérable. Les gilets de sauvetage sont empilés derrière une montagne de bagages entassés là alors j’espère que l’on aura pas à s’en servir. Le voyage dure bien deux heures, dans le meilleur des cas.
Déjà à l’embarquement, c’est compliqué. Les voyageurs ne sont pas pris en charge. Tout le monde se regarde, s’interroge « est-ce le bon bateau ? ». 
Mais de tout ça je me moque car s’il est difficile de s’y rendre, le côté inaccessible rend l’endroit encore plus désirable, plein de promesses.
L’arrivée est encore plus rock’n Roll : il n’y a pas de port. Plusieurs Long Tail Boat prennent en charge les voyageurs à partir du bateau qui reste au large. Le prix est fixé dès le départ, cinquante baths par personne. Bien entendu tout cela est déjà compris dans le billet que vous avez acheté, mais… si vous ne payez pas, vous restez sur le bateau.

Trois ou quatre long tail stationnent en rang d’oignons près du bateau et ça tangue à faire peur. Impossible de garder l’équilibre. Il faut se jeter dans la mêlée, s’accrocher comme on peut. Tans mieux. Le paradis, ça se mérite et puis, c’est l’aventure !

 

Les valises sont transférées avec une délicatesse de tyrex. Si ce n’est pas les bagages, vous êtes traités, je dis en tant que personne, avec les mêmes égards que pour un sac de linge sale. Comme des moutons. Enfin, on nous débarque sur la plage. 

L’île est minuscule, je me dis que ça ne doit pas être si compliqué de trouver la bonne adresse. C’est le paradis ici, non ?

 

Mais même si l’île est minuscule il faut quand même se rendre d’un endroit à l’autre. 
Après bien des désagréments et des entourloupes, je me décide à suivre les bons conseils d’un guide touristique ramassé à Bangkok. Il recommande un endroit au nord de l’île, face à la mer, pas cher du tout, pas de bruit de bateau, mais avec une ambiance sympa. 
Mouai. L’irascible tenancière m’explique que tout est « full » et que les prix ont changé.
Pour une bicoque en palme face à la mer certes, mais avec rien dedans, je dis bien rien, même pas un rouleau de papier toilette, c’est huit cent baths et rien de moins. Sinon je peux aller ailleurs. Le paradis à un coût exorbitant même quand on choisit la simplicité.

Le voilà donc le paradis : un bungalow sur pilotis face à la mer, immense et transparente, du sable blanc, un ciel immense

 

Le bungalow… Des troncs d’arbres disjoints, deux matelas en bois, un drôle de plaid râpé en guise de couverture, pas de chasse d’eau, pas d’étagère, une seule prise électrique et un néon bricolé pour éclairer le tout. Les cloisons en coco sont défoncées, pleines de trous. Ca me va toujours, je ne vais pas passer ma journée dedans, le paradis, c’est le dépouillement.
Et puis, je préfère les endroits simples, un peu sauvages. Le côté désertique me permettra peut-être de souffler un peu.
Je pars explorer l’île dont on peut faire le tour en moins de 2 heures mais la nuit tombe tôt ici, alors il est vite temps de rentrer. Il fait noir comme dans un four maintenant. J’ai pris des repères pour retrouver mon chemin : le terrain vague, la clinique, l’école, tourner à droite après la laverie, tourner à la pancarte Ricci House, tout droit jusqu’à la banderole de foot, à gauche après les grosses caisses rouges et puis tout droit. J’aime bien l’idée que ce havre de repos soit mal indiqué, c’est comme une chasse au trésor. 

Dès que le soleil se couche, la plage est plongée dans le noir. Ca et là, des lumières et au large sur la mer d’encre, quelques bateaux de pêche lancent des reflets verdâtres

 

Le vent dans les cocotiers fait un bruit sec étrange. Un chien noir à pattes blanches m’accompagne jusqu’au bungalow et s’installe sur le fauteuil en plastique de la terrasse. Je l’embauche comme compagnon de route contre quelques chips. Je crois qu’il m’a prise en pitié. Tout est silencieux tout à coup, tout est fermé, éteint, endormi. Lorsque je me couche enfin sous la moustiquaire, bercée par le bruit léger des vagues et les allers et venues des Bernard-l’ermite sur la grève, j’ai vraiment l’impression d’avoir atteint le bout du monde. Celui dont on rêve presque tous. Celui imprimé sur les catalogues publicitaires.
Il n’est pas si facile à trouver que ça, ce bout de paradis et au final il ressemble peu à l’idée que l’on s’en fait.
Quelques heures avant l’aube, les barques à moteur font un bruit d’enfer et après minuit il faut composer avec les voisins chinois terriblement bruyants, les fêtards avinés. Ce serait presque le paradis, si je pouvais couper le son. Ce serait presque ça, avec un peu plus de moelleux dans le matelas, juste un peu. Des autochtones plus honnêtes, plus bienveillants, plus amicaux aussi.
Tout cela n’est que du décor qui nous promet du silence, un peu de solitude mais pas trop, du repos, peu d’obligation, pas de montre, pas de rendez-vous, de l’espace à occuper et de la beauté à contempler. 
Ici ce n’est pas le paradis, ce n’est pas l’enfer non plus, c’est un brouillon d’Eden. 
Mais à quoi bon, j’ai vu bien assez d’endroit magnifique pour le savoir, pour moi, le paradis est un Graal, une quête, il est un voyage.

Le paradis n’est pas un endroit à proprement parler. Il est là où se trouvent ceux que l’on aime et qui nous aiment en retour

 

Le paradis n’est pas une île, ce n’est pas un lieu sur une carte. Une plage vierge de sable blanc peut se révéler triste, un hôtel 4 étoiles lugubre.
Trouver son bout de paradis, c’est une combinaison délicate de la bonne place, du temps idéal, avec les bonnes personnes… et du bon lit aussi un peu.
Il peut tout aussi bien se trouver dans le dépouillement que dans le confort, dans une ville moche ou une campagne pelée.
Je l’ai parfois trouvée, cette place, j’y suis restée un peu plus longtemps qu’ailleurs mais au final, je suis toujours repartie. Le paradis, à part dans les livres religieux où il est éternel et toujours au même endroit, ne dure pas longtemps sur terre et change tout le temps de place. C’est sûrement ce qui le rend inaccessible.
Le paradis n’existe pas, c’est nous qui l’inventons au fur et à mesure de ce dont nous avons besoin. Le paradis c’est là où l’on est aimé, accepté, bienvenu, où rien ne menace, ni douleur, ni chagrin. C’est un endroit où on a sa place, sans condition, sans passeport et sans carte de crédit.
Le paradis, c’est une parenthèse enchantée, l’âme en paix, avec ou sans cocotiers.

Le voyage réserve bien des surprises !

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