Very Bad Trip (à la mode viet)

Sur la route de Hûé à Hoi An, Vietnam : quand une moto se prend un bus dans la figure

 

J’ai acheté une petite moto, une Honda Win 100. C’est une moto très populaire au Vietnam. Le projet c’est de rallier Hanoï à Ho Chi Min par la très célèbre Ho Chi Min Trail road.  

Un bus de face contre une petite moto, ça fait tilt

 
 Je quitte Hûé de bon matin pour me rendre à Hoi An, au bord de la mer.

Je roule tranquillement, m’arrête faire des photos du littoral et des rizières.
Tout va bien. La moto tourne comme une horloge, il fait beau. Mais voilà, surgissant de nulle part, dans un virage sans visibilité, un bus arrive en face et m’envoie sur les roses dans un choc énorme.
J’ai le temps de voir les yeux exorbités du chauffeur, mon pied, ma main droite qui cherchent à freiner. Mais c’est trop tard.
Boum.

Non, je ne suis pas morte

 
Je me souviens seulement du trou noir qui m’explose au visage.
Et je m’envole. Je suis allongée sur la route et je ne peux bouger ni mes membres, ni ma tête. 
J’ai une furieuse envie de dormir. Je suis couchée sur le sol et je ne peux rien faire. Je suis dans le noir. La panique s’organise autour de moi. Je ne peux plus bouger mais je les entends.
Des bras vigoureux, autoritaires me saisissent, me soulèvent, m’emportent sur le bas côté. 
« Doucement, doucement, laissez-moi tranquille »
Je parle français. Je ne vois personne. Je ne peux pas bouger.
Ma tête roule, mes bras ne répondent plus, comme des élastiques mous.
Ils essaient de m’asseoir. Je ne veux pas. Je veux m’allonger. Je veux me reposer. Je ne veux pas être secouée, je ne veux pas qu’on me touche.
Je suis complètement sous le choc.
« Doucement, doucement »
Je n’ai pas encore rebouté mon serveur neuronal, le bruit, les cris en vietnamiens et toutes ses mains qui n’arrêtent pas de me toucher…
Je sens des mains qui tentent de me retirer violemment mon casque, comme on arrache une mauvaise herbe tenace. Le casque retenu par l’attache jugulaire résiste et les tentatives deviennent violentes, ma tête est secouée dans tous les sens.
Et là, il se créé un court-circuit dans mon cerveau, il se remet subitement à fonctionner. Je ne sais comment, je remonte à la surface.
Comme une manche à air, je me lève, fais quelques pas, enlève mon casque, le jette au sol et je crie « qu’est-ce que c’est que ce bordel ! ».
 

L’adrénaline, cette catécholamine merveilleuse vient à mon secours

 

Ils sont tous tellement babas que plus personne n’ouvre la bouche.
Ils me regardent comme un extra-terrestre.
Je marche encore, cinq mètres, reviens, repars. Je suis perdue, confuse.
Mon pantalon est déchiré à la cuisse, au genou, à l’entre-jambe et j’ai l’arcade sourcilière qui saigne.
Ma sacoche que je porte toujours autour du cou est toujours là, dedans il y a ma CB, mon passeport, mon Iphone, de l’argent.
Dans mon petit sac à dos il y a mon appareil photo bien entier, en état de marche.
Je vais cependant attendre quelques heures pour sortir l’ordinateur du sac à dos qui s’est retrouvé au milieu de la route car je crains le pire. Un problème à la fois.

Le chauffeur de bus est un chauffard

 

Le chauffeur du bus s’agite pas mal. Il est tout blanc et couvert de sueur.
Il me prend plusieurs fois dans ses bras en me mettant de grandes claques dans le dos, c’est sûr il est drôlement content que je sois vivante.
Il a eu très peur pour moi, autrement dit pour lui. Tuer un touriste, ce n’est pas très bon. Il faut payer cher pour dédommager la famille.

Heureusement, les occupants du bus sont bienveillants. Il y a fort à parier que s’il avait été seul, le chauffeur aurait pris la poudre d’escampette.
Tout le monde s’occupe de moi. C’est à qui mieux mieux qui me colle un pansement sur le front, qui m’offre de l’eau, des lingettes, un jus de fruit.
Ils sont sympas mais ils me fatiguent. Ils veulent savoir comment je m’appelle, d’où je viens, quel âge j’ai. Ils me fatiguent vraiment. Je dois parler anglais, je dois faire un énorme effort pour les comprendre.
Tout s’agite beaucoup trop autour de moi, les bus continuent à klaxonner, le trafic a repris.

Et tout à coup je réalise que je me retrouve à bord du bus

 
Enfin,  je ne sais pas comment, mais alors vraiment pas, je me retrouve assise dans le bus qui roule en direction de Hûé.

Je suis encore sous le choc. Mes bras, mes mains se mettent à trembler de façon incontrôlable.
Je demande où est mon sac à dos. Personne ne me comprend. Je répète plusieurs fois la question. Une jeune femme qui baragouine quelques mots d’anglais me demande :
« Are You OK ? ».
Je rugis. Hors de moi. C’est encore l’adrénaline qui fait des siennes pour me faire crier comme ça. « I’m OK ! Tell me where is my backpack ! »
Elle finit par comprendre et me montre mon sac, jeté entre les sièges arrières.
OK.

Le contact s’est rétabli dans mes méninges et je demande, après un blanc : «Where is my motorbike ? »

 

Même scénario. Je m’énerve un peu et mime le guidon en faisant « vroum-vroum« .
La jeune femme finit par me montrer du doigt, à travers la fenêtre, un gars qui conduit ma moto sur le bas-côté.
Ma moto roule !
Mais maintenant, je réalise que nous roulons dans la direction opposée à Hoi An.
« Stop the bus ! »
Le chauffeur ne veut pas s’exécuter, il se marre. Il faut que je me fâche.
« Je ne veux pas aller à Hûé ! J’en viens ! Je veux aller à Hoi An ! »
Je finis par comprendre qu’ils veulent me conduire à l’hôpital. Et ça, il en est hors de question.
J’ai bien contrôlé mes articulations, mes bras, mes jambes, ma tête, tout fonctionne.
Je suis toujours un peu confuse, je n’analyse pas très bien la situation mais je ne ressens aucun malaise profond.
A force de crier « stop the bus now« , nous nous arrêtons enfin.

Tout le monde est autour de moi, prend des photos. Je suis complètement débordée

 

Je ne sais pas ce qu’ils fabriquent. Ils parlent tous en même temps. Ils confient ma bécane à quelqu’un qui ne peut rien faire car il n’a pas les pièces. Ils ne répondent pas à mes questions, ne me comprennent pas. 
Le chauffeur en sueur me donne furtivement 400 000 Dongs. Je ne négocie même pas. Il est trop content que je ne parle pas de police, d’ambassade de France ou d’assurance.
Je suis sûre qu’il n’a pas son permis.
La somme ne suffira jamais pour tout réparer.
Sous d’autres cieux, j’aurai agi différemment. Mais nous sommes au Vietnam !
La galère ne fait que commencer puisque, si je peux rouler, la fourche est tordue à mort, elle ressemble à une fourchette.
Le démarreur, le phare et les clignotants sont explosés, tout le système électrique est foutu, le guidon et les rétros sont de travers. J’ai perdu mes clignotants arrières sur la route. Mais elle roule ma merveilleuse bécane !
Je demande qu’on me démarre la moto d’un coup de kick, vu que le starter est HS et je repars sur la moto, sous les applaudissements et les félicitations du bus au complet.

Objectif : faire réparer et arriver à Hoi An avant la nuit

 
Je roule environ dix kilomètres. Aucun garage ne veut la réparer.
Evidement, je cale et suis dans la totale incapacité de démarrer au kick : c’est à droite, et c’est la jambe droite qui a tout pris.
Je demande de l’aide sur la route… pour un coup de pied salvateur mais on me demande 10 dollars, ha ha ha !
Prise d’une rage terrible, je pousse ma moto sous une chaleur de plomb sur huit cent mètres.
J’échoue dans un garage en bord de route. Le mécanicien a déjà du travail et tout le monde passe devant moi. Mais au moins il accepte de s’en occuper, c’est déjà ça.
C’est le Vietnam. Il n’y a aucune place pour la compassion.
A ce moment là, je me fous de tout. Je négocie à peine. Merci de tout réparer pour 400 000.
 

Vas te coucher !

 
Le mécano est décontenancé. Il m’ordonne d’attendre dans un hamac. A ce stade là, je ne sais pas si c’est par compassion ou parce qu’il ne veut pas que je supervise les réparations. Donc, attendons. Je ne me sens pas déprimée ou paniquée.
Il y a de quoi se sentir contente de sortir d’un truc pareil avec une jambe de Bécassine qui va bientôt se transformer en jambe de Schtroumpf, une arcade ouverte et un hématome de la taille d’un citron à l’entre-jambe.
J’attends qu’ils réparent, cinq heures durant, dans le hamac.
La route est effrayante de bruit, de chaleur, de poussière.
 

Ma jambe est passée à la taille XXL. Elle n’arrête pas de gonfler

 

Je farfouille sans grand espoir dans ma pharmacie providentielle et tombe sur une seule et unique dose homéopathique d’arnica. Comme quoi, j’ai vraiment de la chance aujourd’hui. Ma jambe n’en revient pas, je sens des fourmis grouiller autour de mon tibia et la douleur se calme.
Le soleil décline et je commence à m’inquiéter du temps qu’ils prennent pour réparer. J’ai encore cent-vingt kilomètres à faire et la nuit va tomber.

Encore une arnaque !

 
En matière de réparation, bien que nous nous soyons mis d’accord avant, ils changent seulement la fourche, répare le démarreur, rattache le phare avec du fil de fer et bidouillent les fils électriques avec du scotch.

Je teste la moto sur vingt mètres, le frein avant ne freine pas, le klaxon ne klaxonne pas, le rétro est trop tordu pour que je vois ce qu’il se passe derrière.
J’insiste.
De mauvaise grâce ils re-bidouillent tout ça, à la va-vite.
Il faut sortir de ce lisier dans lequel je m’embourbe et repars aussi sec, sans négocier, sans menacer ni me défendre.
Je franchis le magnifique col des nuages au soleil couchant. Un spectacle incroyable. Mais non sans mal car c’est une route de montagne qui serpente et je ne peux vraiment pas prendre les virages avec élégance à cause de mon guidon tordu.

Une halte s’impose, la nuit tombe, continuer ainsi, c’est suicidaire

 
Il fait nuit noire maintenant. Je dois m’arrêter à Da Nang, quarante kilomètres avant Hoi An. 
C’est une très grande ville faite de grandes avenues, de ponts, de rond-points gigantesques, encombrés de scooters et de voitures. La circulation est dense, infernale.
Le ralenti de la moto est complètement déréglé, le point mort introuvable, je dois caler la moto à chaque feu rouge, à chaque fois que je consulte le GPS. Et puis ma blessure à l’entre-jambe me fait souffrir, à califourchon sur la bécane.
 

Perdue dans une ville- labyrinthe qui ressemble à New-York

 
Je me perds dans les grandes artères et les rues en sens unique. Au bout d’une heure à errer dans cette jungle urbaine, je trouve enfin un hostel.
Il faut, comme d’habitude négocier le prix avec le réceptionniste. Il me dit « oui, une chambre pas cher au 4ème étage !« . Je dis « Pas de problème, porte mon sac !« 
Au final, j’ai droit à une chambre au second et il porte mon gros sac-à-dos.
Je dois faire peine à voir avec mon pantalon déchiré, mon arcade enflée.
Je prends une douche bien chaude puis sors acheter quelque chose à manger. Je n’ai rien avalé depuis ce matin. Hélas, tout est fermé, alors 3 biscuits feront l’affaire. Sur le chemin du retour, je m’arrête pour décompresser et savourer une bière en terrasse.
Il est temps d’aller se coucher. Ma jambe est difforme et me fait un peu mal. 
Finalement, tout va bien.
Je sens le savon, j’ai passé un pantalon propre, j’ai un bon lit, ma moto est au parking, mon ordinateur tourne à merveille.
Je n’ai même pas de courbatures.
Incroyable.
Emmitouflée sous la couette, je sens la pression qui descend. 
Demain je visite le musée Cham et repartirai vers Hoi An où je ferais faire un vrai lifting à ma Win100 pour vingt dollars.
Tout va bien.
Putain de bus.

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