Rêve de jungle

Longtemps, j’ai rêvé de jungle. Cette découverte je l’ai attendue toute ma vie. La vie sauvage, les arbres, les araignées, tout ça…

 

Le plus grand parc sauvage du pays, la forêt la plus ancienne de la planète. J’y suis

 

En quittant Malacca, j’étais prête à m’y rendre à pied, en traînant ma valise à roulettes. Taman Negara me voilà, Malaisie, me voici.
Pour cette première découverte, je veux faire une balade réputée facile, à faire seul sans problème en quatre heures environ. OK. Ça sonne bien, je suis en pleine forme.
Il a plu à torrent la nuit précédente, je vais devoir progresser dans la gadoue. Je me présente à l’entrée du parc et demande un plan ainsi que les renseignements qui s’imposent. J’hérite d’un plan minuscule sur lequel gribouille le guide car il n’est pas actualisé. Rien que pour trouver le sentier qui part du point information, je demande trois fois mon chemin. Ce n’est pas gagné !

Je commence à marcher. Donner des distances dans la jungle, c’est comme expliquer la théorie de la relativité à Rambo. On parle de temps de marche

 

Au bout d’une heure de crapahutage dans la boue, après avoir continué sur un chemin vraiment peu balisé qui d’ailleurs ne ressemble pas toujours à un chemin, je me retrouve à un croisement…
Trois directions, aucune n’est sur ma carte.
Je suis comme qui dirait, perdue.
J’attends en chassant les sangsues de mes chaussures.
Attendre, c’est toujours bien quand on est perdu.
J’entends alors des voix au lointain.
Je lance quelques Youhou sonores… un groupe approche.
Un groupe de malais accompagné de quoi, je vous le donne dans le mille, un guide certifié. Et il est charmant.
Je demande mon chemin.

Monsieur le guide me toise d’un drôle d’air « are you alone ?« . Je réponds d’un yes sir ! ferme et souriant

 

« Really alone ?« 
Etrange question. Je suis bien tentée de répondre que non, effectivement, j’ai toute ma famille pliée dans le sac, à la Marie Poppins. Je ne le fais pas, bien entendu, un guide qui vous tombe du ciel mérite quelques égards.
Ma réponse le laisse perplexe, il me jette de brefs coups d’œil, mine de rien.

Les explications qu’il me donne pour trouver mon chemin dans un anglais un peu court ne sont guère convaincantes.
Je demande de la façon la plus charmante que je connaisse si je peux me joindre à eux.
Of course !
Je ne me le fais pas dire deux fois et je colle au train de ce providentiel Tarzan.
Il m’appelle par mon prénom, m’explique les arbres, les feuilles qui se transforme en antiseptique quand on les frotte dans un peu d’eau dans la paume de la main, quel est l’arbre dont l’écorce donne un poison violent pour aller chasser le gibbon à la sarbacane.
Il m’attrape même une grenouille pour que je puisse la prendre en photo.
Je suis prête à l’épouser.
Jo, c’est son nom. Nous traversons des rivières, sans pont, des flaques de boue de la taille du lac Léman, des descentes glissantes… Je nage dans le bonheur. Jamais, au grand jamais je n’aurai trouvé seule mon chemin ici

Mais avant de vous narrer la suite, je dois vous parler du sujet de conversation préféré des explorateurs en herbe du Taman Negara. Il ne s’agit pas du tigre ou des éléphants de jungle, ni même du toucan ou des chauves-souris, il s’agit des sangsues 

 

Et quelles sangsues !
Chacun y va de son conseil pour contrer ce fléau. Les plus prévoyants ont des guêtres spéciales, des répulsifs…
Les sangsues du Taman Negara peuvent être assez grosses.
Elles sont partout sur le sol, surtout quand il a plu la veille. C’est bien ma chance.
De la taille d’un petit vers de terre (et parfois vraiment très petit), elles se dressent sur leur pied ventouse quand elles vous entendent arriver. Elles s’étirent à la façon d’une antenne d’escargot et dès que vous êtes repéré, elles rappliquent au triple galop comme une chenille de cartoon.
Elles partent à l’assaut de vos chaussures, se faufilent dans les chaussettes les plus serrées et slurp !
Complètement indolore, on ne les remarque qu’une fois leur forfait accompli.
Le plus spectaculaire, c’est qu’une fois qu’elles ont bien festoyé, elles se laissent tomber sur le sol en laissant derrière elles une belle tâche de sang sur les vêtements car elles injectent un anticoagulant de leur fabrication… alors ça saigne pas mal.
Jo se contrefiche des sangsues. Il regarde régulièrement ses chaussures, les retire à la main et continue son chemin.

Jo est un guide formidable, il parle l’anglais, connait la forêt comme sa poche, s’intéresse à beaucoup de choses et connais Zinedine Zidane !

Jo, qui me surveille du coin de l’œil, montre du doigt le haut de ma jambe, avec un sourire amusé. Une grande tâche de sang macule mon superbe pantalon Lafuma.

Comme je n’ai pas envie de passer pour une chochotte, je jette un regard de défi à Jo et fait le clown « AAARRGGGHHH ! Mon dieu ! Du sang ! »
Jo se précipite et propose de me couper la jambe sur le champ, j’accepte sans ciller. Mais nos chemins se séparent. Jo me répète à plusieurs reprises de bien faire attention à moi. Il me regarde comme si je m’engageais dans le couloir de la mort.

Me voilà maintenant vraiment seule et je dois être à la moitié du parcours. J’ai trois kilomètres de jungle derrière moi et quatre à venir

  

Entre les arbres tombés sur le chemin qui m’obligent à faire des détours et le sentier non ou mal balisé, je me rends compte à quel point un guide me manque.
Mais bon, j’y suis, j’y reste !
Je crapahute tant bien que mal en faisant soigneusement la chasse aux sangsues.
Le chemin grimpe, grimpe et grimpe encore.
Je dois m’accrocher aux arbres, aux lianes et aux cordes quand il y en a pour progresser.
Je vais croiser en tout et pour tout quatre personnes dans la journée.
Je dois leur faire un peu pitié ! Du sang sur mon pantalon, de la boue partout et je suis dégoulinante de transpiration, littéralement en nage.
Quand le chemin redescend enfin, pas de quoi crier victoire, il est tellement glissant et boueux que je regrette de ne pas avoir emmené une paire de ski !

Arrivé tout prêt de la Canopy Walkway (les ponts suspendus) je croise trois hommes tout propres et magnifiquement équipés. Ils se renseignent sur l’état du chemin, sur mon parcours 

 

Ils ne sont guère motivés par la pente et la boue.
Je fais le pitre. Ce que j’ai pu faire seule et sans équipement, ils doivent pouvoir le tenter tout de même !
C’est un groupe d’ornithologues hollandais. Non, ils préfèrent rebrousser chemin et je perçois comme une étincelle d’admiration dans leurs regards.
Je me souviens tout à coup que j’ai vu un gros oiseau plus haut.
Ils se moquent, un peu goguenards. Je recherche sur mon appareil, un truc que j’ai pris pour une dinde un peu paon sur les bords. Ils attendent patiemment en souriant en coin. Quand enfin je brandis le portrait du volatile, je vois leurs yeux s’arrondir de surprise. C’est un oiseau difficile à voir !
Du coup, je reste avec le groupe et nous allons faire un tour sur les ponts suspendus. Je leur raconte ce que Jo m’a enseigné et je m’aperçois que ma pitoyable escapade était passionnante, riche en découvertes !
C’est un grand bonheur de se balader avec des spécialistes armés de jumelles.

Deux spécialistes en une journée, je n’ose même pas en parler à mes compagnons de guesthouse ! 

 

Lorsque je rejoins enfin le camp, je retrouve Jo qui me saute au cou, soulagé de me retrouver en vie !
Je n’ai pas vu de tigre ni de singe, ni même de grosse araignée.
J’ai vu beaucoup de sangsues et un gros oiseau qui ressemblait à un faisan.
Une grenouille.
Des fourmis énormes.
Voilà.
J’ai vu la forêt, noire et profonde, j’ai entendu le chant des calaos et les arbres… les arbres magnifiques, sereins, forts, immenses.
Dressés vers la lumière comme des sémaphores.
Ils abritent, loin de mes yeux ignares de merveilleuses créatures que je ne pourrais jamais voir que sur un écran.
C’était un long voyage pour voir ça.
J’ai pris des bus, un bateau, j’ai mal mangé, j’ai mal dormi, j’ai été dévoré par les sangsues et les moustiques et maintenant j’ai les fessiers tellement courbaturés que je peux à peine m’asseoir.
Je n’ai aucun regret.
J’ai vu de belles choses et fais de belles rencontres.
C’est déjà beaucoup.

En voyage, restez nature !

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