En voyage, les transports en commun, c’est l’aventure !

Bateau, bus, train, taxi, tuk-tuk... Les transports en commun sont parfois tout sauf reposants ou confortables. Pourtant c'est le meilleur moyen d'explorer le monde et de faire des rencontres

24 heures de transport en commun pour faire 800km : quitter une île, passer d’un golf à l’autre, traverser une frontière et enfin rejoindre un lit douillet : le voyage par voies terrestres c’est vraiment l’aventure !

Aujourd’hui, je quitte la petite île de Koh Lipe, en Thaïlande, pour rejoindre Kuala Lumpur, en Malaisie. C’est un parcours de plus ou moins 800 km qui durera 24h. Je ne suis toujours pas remise de mon coup de froid, les deux dernières nuits ont été très courtes et je suis proprement exténuée, frissonnante et faiblarde.
Tans pis, il faudra quelques bateaux, bus, trains et voitures mais au bout du voyage, une belle chambre, aussi confortable que chère m’attend : un matelas épais, des coussins, de l’eau chaude et du calme…
Première étape : un tuk-tuk jusqu’à la plage, un long-tail jusqu’à la plate-forme flottante, un speed boat, une heure trente de trajet jusqu’au port de Pakbara.
Le voyage est extrêmement bruyant et inconfortable. Nous sommes secoués comme des salades dans leur panier.
A Pakbara, un minibus nous attend et nous emmène à la gare de Hat Tay, deux cent kilomètres plus loin, où prendre un train à seize heures tapante. Un train de nuit, direction Kuala Lumpur, Malaisie.

La gare de Hat Yai est surprenante : presque personne, un seul train à quai

Lorsque je me renseigne pour savoir où se trouve le fameux KL-train, on me répond : sur la voie numéro quatre. En face j’avise un train sur une voie unique, à droite, à gauche, pas d’autre quai en vue. Aurai-je mal compris ?

Non, les autres voies sont derrière le premier train, pour y accéder il faut passer à travers les trains qui stationnent. Pas de passage sur les rails, souterrain ou aérien.
Les quais sont largement occupés par des familles entières assises par terre. Toutes les femmes sont voilées, parfois intégralement.
La quatrième voie apparait enfin, c’est la dernière. Deux wagons, pas un de plus attendent gentiment là. J’avise un groupe de jeunes garçons histoire d’être sûre. Oui, effectivement, c’est bien lui.
Je monte les bagages, trouve la couchette tout au fond du wagon, numéro trente neuf, en hauteur et enfin, je m’allonge sur le minuscule matelas. J’adore le lit, il y a une petite fenêtre en forme de hublot horizontal qui permet de regarder le paysage tout en restant allongé. C’est un peu comme au cinéma mais en mieux.

Une seule étrangère dans tout le train : voilà qui attise bien des curiosités !

Les garçons rencontrés sur le quai me font des signes, me tournent un peu autour, curieux mais pas méchants du tout. Ils sont assez rares les touristes qui prennent ce train, alors quand un visiteur se présente, c’est un peu l’attraction. Je suis toute seule dans mon carré. Mais voilà que j’entends venir du monde. Du haut de mon perchoir je vois trois petites silhouettes voilées et hautes en couleur, piaillant comme des moineaux arriver dans le wagon. Je leur fais signe. A l’instant même où se croisent nos regards, les visages s’illuminent : « Hello !, nice to meet you ! ». Elles me serrent la main, demandent mon prénom et se présentent à leur tour : Didin, Aki et Vieta. Elles sont malaisiennes et rentrent chez elles après avoir rendu visite à la famille. Aucune d’entre elles ne dépasse 1.50m mais Aki semble dotée d’une autorité de géant, un simple regard en direction des garçons décidément très curieux les font fuir.

Elles ne les laissent pas s’approcher et les chassent comme des pigeons voleurs. Je crois comprendre qu’elles sont très soulagée que leur voisine directe de lit soit une femme. Ce qui les étonne le plus ce n’est pas ma nationalité, c’est mon âge et surtout le fait que je voyage seule. Elle trouve cela très très courageux.
Le train démarre avec de lourds à coups et je ressens une joie immense malgré la fatigue du voyage. Il fera bientôt nuit, calme et obscurité, c’est tout ce dont j’ai besoin.
Mais avant de pouvoir profiter de cette fabuleuse couchette et retrouver des forces, il nous faut passer la frontière. Qui dit frontière dit douane. Il  faudra redescendre tous les bagages du train pour les passer au contrôle. Tous. Misère.
Il me reste environ deux heures pour reprendre des forces avant que le train ne marque sont arrêt au poste frontière.

Deux heures même dans un train qui semble avancer à 10 km/h, c’est très court quand on papote

Alors pas de sommeil, mes petits voisins n’arrêtent pas de m’interroger sur les voyages, les pays, la vie. L’atmosphère est gaie et détendue.
Le train s’arrête avec une délicatesse de panzer et un bruit de Godzilla explorant New York. C’est là que nous passons la frontière entre la Thaïlande et la Malaisie.

Voilà mes compagnes qui s’agitent et se mettent à sortir toutes leurs affaires. Elles en ont tant qu’elles ne peuvent pas tout porter. J’aide comme je peux en prenant quelques bagages en plus. 
Des officiers à casquettes, souriants, gentils comme tout font descendre les passagers des wagons. C’est un peu la cohue mais le passage à l’immigration est sans problème : tampon, tampon, tampon, sourire et « welcome » en plus.

Mais je meurs de faim. Impossible de remonter pas dans ce train sans un paquet de chips, une paella royale, une entrecôte maître d’hôtel et des religieuses au café, oui à emporter s’il-vous-plait !

Il y a bien une cafétéria ici mais voilà, pour aller chercher mon menu gastronomique il me faut gravir deux étages sans ascenseur et nous avons des bagages plein les bras.
Je frappe à la porte d’un bureau vitré, juste à côté de l’escalier qui mène au paradis des ventres vides. Un homme avenant me répond. Je lui demande si je peux laisser mes bagages quelques minutes afin de pouvoir me rendre à la cafétéria. Il s’empresse d’accéder à ma demande sans oublier de me parler de son footballeur français préféré dont le poster est punaisé sur le mur : Zinédine Zidane.
Voyant mon audace récompensée, mes petites voisines n’en reviennent pas ! Aki voudrait faire pareil mais jamais elle n’oserait aborder un homme inconnu ! Je retourne donc voir Zidane. Il dit Ok. Mais Vieta et Didin aussi trouvent l’idée épatante. En quelques minutes le bureau de mon sauveur se transforme en consigne. Le gentil fonctionnaire est un peu débordé par la situation mais il garde le sourire et nous laisse aller chercher nos victuailles.

Je fonce à la cafétéria dépenser mes dernières baths en gâteau au chocolat et cuisses de poulet épicées. Hélas, ils ne prennent pas l’argent thaï ici

Je donne alors mon dernier billet de mille bath à Vieta qui va changer de l’argent pour tout le monde. Voyager à plusieurs à parfois pas mal d’avantages.
Le temps passe vite, il nous faut encore attendre le change et surtout le service. La cafétéria est bondée car en cour de route, le train s’est allongé en prenant  une dizaine de wagons et c’est un raz de marée de voyageurs affamés qu’il faut servir en même temps.
Quand mon tour arrive, je commande au hasard en montrant ce qu’il y a dans les énormes gamelles fumantes et c’est la course. Le train siffle impatiemment et nous sommes prises de panique quand nous le voyons se déplacer sur le quai.
La minuscule Aki est complètement débordée par ces innombrables valises. Chacune fait de son mieux pour aider l’autre. Le chef de gare, qui rigole en voyant notre empressement, nous ramène comme des écolières buissonnières vers le train qui n’attend plus que nous pour partir.
Essoufflées, en sueur, nous regagnons le bon wagon sous les rires des garçons qui nous aident de leur mieux. Soulagées mais hilares, nous partageons les valises et les sacs qui semblent s’être multipliés. A peine assises sur nos lits, le train démarre.

Je n’en reviens pas de la gentillesse des malaisiens. Ils sont tout simplement incroyables. Tout de suite prêts à aider et le sourire sincère, vraiment bienveillants

Nous nous installons pour festoyer, tout le monde se réunit, mes petites voisines et les garçons qui maintenant se rapprochent davantage et nous transformons le wagon-lit en restaurant. C’est l’heure du festin, du pique-nique improvisé, du partage. Mes boites sont emplies de choses tellement épicées qu’elles sont difficiles à avaler. Heureusement, tout le monde partage ses provisions et personne ne se couche le ventre vide. Nous sommes tous fatigués, il fait nuit noire et comble de félicité, ce soir, c’est la pleine lune. Allongée sur mon matelas plastifié, je regarde les cieux où la lune joue à cache-cache avec les nuages. Le paysage défile par la petite fenêtre. Un peu plus tard dans la nuit, la Malaisie toute entière semble prise sous un orage titanesque, l’horizon est zébré d’éclairs. C’est une sensation merveilleuse de se trouver dans le ventre de ce train lourd et bruyant, lancé à pleine vitesse au milieu des champs noirs, bravant la pluie diluvienne et se sentir rassurée, tranquille, bercée par les secousses, en sécurité comme un enfant dans les bras de sa mère.

Le train est un tortillard qui mettra dix heures à nous mener à Kuala Lumpur

Le train s’arrête dans toutes les gares et à parfois je descends me dégourdir les jambes sur le quai, papoter avec les voyageurs ou le chef de gare, fumer une cigarette ou prendre un thé au vendeur ambulant.
Ce voyage est merveilleux et malgré mon état fiévreux j’ai tout le mal du monde à dormir tant je suis captivée par le film qui défile par la fenêtre et la vie qui s’agite dehors à chaque arrêt.

Dernier arrêt : Kuala Lumpur ! En route vers un lit confortable

Vers cinq heures du matin, nous arrivons enfin dans une gare immense, toute neuve, pleine d’escalators. Kuala Lumpur. Un nom tout droit sorti d’un conte des milles et une nuits.
Le train se vide, chacun se dépêche. Dans ce petit matin brumeux, c’est l’heure des adieux, des retrouvailles, des taxis. Tous les voyageurs se séparent et s’éparpillent pour retrouver leurs vies, leurs familles ou leurs maisons.
Hep taxi ! En route pour l’hôtel.
Kuala Lumpur affronte une pluie battante dont elle à le secret : un déluge. Les rues de la ville sont inondées et je me demande si nous n’allons pas rester plantés au milieu du gué car l’eau arrive presque au niveau du moteur… Le chauffeur rigole en voyant mon inquiétude, à Kuala Lumpur il pleut des hallebardes presque tous les jours.

Il fait encore nuit, sous la pluie, la ville me semble immense, tentaculaire.
Il est presque six heures quand je franchis le hall d’un hôtel de bon standing niché en plein coeur de Bukit Bintang. Les derniers mois ont été rocambolesques et j’ai besoin d’un peu de confort. La première impression est bonne, j’arrive dans un très bel endroit. Du bois exotique, des murs blanc, un style presque balinais et tout le confort moderne.
Je me présente. Après quelques seconde d’un insoutenable suspens, l’aimable réceptionniste trouve mon nom sur son écran. Ouf !
Mon bonheur est de courte durée car, hélas, il me fait savoir que ma chambre ne sera disponible que vers deux heures de l’après-midi.

Pas de lit avant 14h00, c’est comme qui dirait le coup fatal

J’en tombe presque de mon siège. Je négocie fermement et menace de dormir par terre s’il ne me trouve pas une chaise, un fauteuil où m’affaler. J’ai les jambes en coton et je ne suis même pas sûre de me souvenir encore de ma date de naissance tellement je suis schlass. Devant mon visage décomposé, les yeux rouges et gonflés, un autre employé arrive à la rescousse et tout deux s’agitent en malais. Ils me proposent alors une chambre d’où les clients sont partis très tôt ce matin. Elle n’a pas été refaite mais qu’importe, je suis même prête à dormir sur le tapis s’il le faut. Je rentre dans la chambre comme si j’allais y rencontrer Saint Pierre. Lit à baldaquin immense et blanc, matelas épais et moelleux, pas moins de quatre oreillers pour moi toute seule, une salle de bain de rêve, propre, moderne. 

Je reste béate devant la divine beauté d’un WC immaculé, la tendresse magnétique d’un rouleau de papier toilette. Et la douche, alors là, la douche : propre comme un sous-neuf, un vrai poème. 

C’est la fin du voyage. Plus de 24 heures de transport en commun. On peut trouver ce trajet compliqué et fatiguant mais je ne changerai jamais de moyen de locomotion lorsque je suis en voyage

Je trouve l’avion d’un ennui mortel qui me prive d’une chose essentielle : la découverte à petit pas d’une destination. Prendre le temps de l’approcher, voir les paysages qui changent au fur et à mesure, le jour qui monte et la nuit qui descend sur ces horizons inconnus. En avion, j’arriverai trop vite, déphasée, décalée, mal préparée !
En plus de cette approche en douceur, les voyages dans les transports en commun continuent à être mon fournisseur officiel d’aventure et de rencontres. Je n’en changerai pour rien au monde.

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